Archives pour la catégorie Éthiopie

Voyages effectués en août 2013 et en février 2015

Éthiopie, terre des hommes et des dieux

En août 2013 puis en février 2015, j’ai effectué deux séjours en Ethiopie. En cinq semaines au total, j’ai pu visiter une grande partie du pays, sans avoir toutefois  épuisé les mille richesses qu’il reste à découvrir de ce pays. Je vous propose deux promenades du pays. La première intitulé « la terre et les hommes » présente des photographies de paysages et de populations du pays. La seconde – « des hommes et des dieux » –  se centre sur des icônes et des œuvres d’art orthodoxes ou islamiques.

La terre et les hommes:

Des hommes et des dieux:

PS: D’autres photos encore sont visibles ici, ou encore ici. Pour une synthèse de mes voyages en Ethiopie, c’est .

Délicieux jardins d’Abyssinie

En février, c’est la saison sèche en Ethiopie, en particulier dans le Nord, paysage désertique et rocailleux. Dans ces montagnes brunes jaillissent parfois quelques fleurs, arbustes, jardins… touches de couleurs magnifiques au milieu de la désolation.

Si quelque botaniste venait à passer par ce blog, je lui serai très reconnaissant de me donner les noms des plantes ici photographiées, car je suis un inculte en la matière.

L’Ethiopie, voyage à la source de l’odyssée humaine

L’Ethiopie, berceau de l’humanité, tel est le lieu commun qui m’a fait revenir dans ce beau pays dont j’avais visité l’est et le sud en août 2013. L’Ethiopie est la terre qui vit mourir le premier « homme », Lucy ; c’est une vieille civilisation antique puisant ses mythes fondateurs dans l’union du roi Salomon et de la reine de Saba ; c’est là que se perd l’Arche d’Alliance ; c’est de là que provient originairement le café, 2ème produit du commerce mondiale aujourd’hui ; c’est l’ancienne Abyssinie et ses chrétiens coptes, ses monastères, ses églises troglodytes ; c’est le pays qui fascina tant Rimbaud et Monfreid ; ce sont ces Négus qui se succèdent, ces rois des rois, tels Ménélik ou Hailé Sélassié alias Rastafari ; ce sont des paysages qui nous rappellent les premiers temps de la Terre. J’avais déjà raconté mon premier voyage à Addis Abeba, Harar puis dans la vallée du Rift. Déjà alors j’évoquais mon excitation à visiter ce pays, terre de légendes soigneusement entretenues.

Même si la réalité est toujours en-dessous de nos fantasmes, je ne fus pas déçu de ce deuxième séjour, dans le Nord cette fois-ci. Le parcours que j’ai effectué en février 2015 – avec mon père – est communément désigné par les guides comme la « route historique ». Il correspond en effet plus ou moins à l’ancienne Abyssinie, royaume antique, médiéval, moderne, christianisé dès les premiers siècles de notre ère.

Beta Ghiorghis, Lalibela, Ethiopie Beta Ghiorghis, Lalibela, Ethiopie

C’est à Lalibela que notre voyage a commencé. Lalibela, ce nom sonne comme un chant dans l’histoire de la chrétienté africaine. C’est dans cette petite ville – la nouvelle Jérusalem – que l’on dénombre onze églises hypogées, cas unique au monde : dans la roche, elles ont été creusées sur plusieurs mètres de profondeur. Pour y entrer, il faut d’abord descendre par des galeries et des tunnels tortueux, rejoignant les églises les unes aux autres. Ces églises sont réparties sur deux principaux sites absolument impressionnants. Le troisième site est en fait constitué d’une seule église (« Beta Ghiorghis»), sans doute la plus célèbre, et surtout la plus photogénique car c’est la seule qui ne soit pas protégé ; toutes les autres ont été recouvertes de toits hideux qui sont probablement très efficaces dans leur rôle mais qui bousillent totalement les perspectives et qui – c’est peu de le dire – ne mettent pas en valeur les églises.

 

De Lalibela à Axoum, et en particulier dans le Tigré, l’on peut visiter de nombreuses autres églises troglodytes, remontant pour certaines au moins au IXème siècle (au Vème d’après le clergé local). Le Tigré est une région fascinante. Paysage de rocaille, d’une sécheresse intense en cette saison, il offre de superbes panoramas de montagnes grises, de cailloux entre lesquels émergent parfois quelques jardins délicieux à la faveur d’un oued non encore tari. Par le passé, les Tigréens ont été victimes de famines, et tout laisse à penser en effet que la soudure entre deux saisons des pluies doit être difficile.

Route Lalibela/Axoum Route Lalibela/Axoum

La route est égrenée de micro villages ou de fermes isolées. Nous croisons ainsi des gens tout le long de la route. Des êtres beaux et longilignes – hommes, femmes, enfants – cheminent, peut-être d’un village à un autre, vers un puits, un marché, un ami… Heureusement pour eux que la route est peu fréquentée par les véhicules, car nous remuons une poussière impressionnante qui s’échappe en tourbillonnant derrière nous. Parfois, sortant du néant apparaissent des villes sans banlieue, plantées au milieu du reg : Abiy Adi, Adwa, Axoum, puis Shire, Debark, Gondar, Bahar Dar…

Stèles d'Axoum, Ethiopie Stèles d’Axoum, Ethiopie

Axoum s’avère décevante. Il est difficile de s’imaginer que sur le même site se dressait autrefois la capitale d’une brillante civilisation, dont il ne reste maintenant que des vestiges : un champs de stèles de plusieurs dizaines de mètres de haut, dont le mystère réside dans leur érection et surtout leur transport (car la pierre dans laquelle elles ont été taillées se situe à 4 kilomètres) et dont la restitution par l’Italie qui les avait volées sous Mussolini a fait l’objet de multiples rebondissements ; des tombeaux en veux-tu en voilà, à faire pâmer tous les Indiana Jones amateurs et professionnels ; l’église Sainte-Marie de Sion datant du IVème siècle, détruite à plusieurs reprises puis reconstruite au XVIIème avant d’être salement restaurée récemment ; la mythique chapelle où serait déposée l’Arche d’Alliance depuis son ravissement par Ménélik, fils du roi Salomon et de la reine de Saba, mais que seul son gardien peut voir – sans doute le mystère le plus fascinant de l’histoire de l’humanité : là encore, Indiana Jones doit en rêver. Un site toutefois vaut vraiment le détour : c’est le monastère de Pantalewon, perché sur les hauteurs d’Axoum. Pour l’atteindre depuis le « parking » des tombes des rois axoumites Kaleb et Gabra Masqal, il faut marcher une petite demi-heure sur un chemin bordé de murs en pierre et traversant un paysage sec où sont installés quelques modestes communautés paysannes. Arrivé au monastère où des « étudiants » récitent la Bible en guèze à voix haute dans une harmonieuse cacophonie, il faut encore escalader un raidillon avant d’arriver à une minuscule église qui ne paye pas de mine mais qui surplombe un paysage magnifique. L’intérieur de l’église est richement décoré de fresques et d’icônes anciennes ; au sous-sol, des tombeaux dont le prêtre nous montre l’accès par une trappe. Peu de touristes viennent jusque-là, sans doute effrayés par la (pourtant courte) marche que cela nécessite ; ils ont tort, selon moi.

Vue d'Axoum, depuis le monastère de Pantalewon, Ethiopie Vue d’Axoum, depuis le monastère de Pantalewon, Ethiopie
Chapelle de l'Arche d'Alliance, Axoum, Ethiopie Chapelle de l’Arche d’Alliance, Axoum, Ethiopie

Nous restons un peu moins de deux jours à Axoum, puis nous prenons la route pour Shire, ville sans autre intérêt que d’être une étape vers Gondar. Le trajet est interrompu par un incident sans grande gravité mais assez impressionnant : sur la route, un garçon s’est littéralement encastré le pied dans son vélo, entre le cadre et la roue (difficile à expliquer quand on ne connaît pas tous les termes techniques !). Le pauvre enfant souffre atrocement, d’autant plus que sa douloureuse situation est probablement la cause d’une belle chute. Toute une populace a accouru d’on ne sait trop où et se masse en hurlant devant l’accidenté. Tout le monde semble y aller de ses conseils. Finalement, l’enfant est sorti de son piège. Immédiatement il cesse de pleurer et s’évanouit ; un vieux papa le prend dans ses bras et l’emmène Dieu sait où. Le minibus repart.

Nous passons la nuit à Shire. Le lendemain très tôt, vers cinq heures, tandis qu’il fait encore nuit et que les premiers habitants de la ville sortent de chez eux à l’appel du muezzin, nous arrivons à la gare routière – une immense gare routière, où les bus sont tous bien rangés les uns à côté des autres, laissant le centre de la place vide. Ce n’est finalement qu’à 6h40 que le bus s’ébranle. Commence alors un trajet un peu pénible, car les places sont très étroites pour nos longues jambes. Il fait chaud, nous manquons d’air. La route est goudronnée sur plusieurs dizaines de kilomètres et finit par laisser la place à une piste de qualité convenable. Cependant, nous sommes en montagne, et nous ne cessons de monter des cols pour redescendre dans des vallées le plus souvent asséchées. Nous arrivons finalement aux alentours de treize heures à Debark, où nous attend Guizmou, un jeune guide qui doit nous emmener dans le parc du Simien, « roof of Africa ». Il a loué pour nous un 4×4 et nous sommes escortés d’un cuisinier, d’un cuisinier-adjoint, d’un scout armé, et de deux muletiers. Six personnes à notre service pour une randonnée, je ne suis pas habitué !

Pendant quatre jours, nous marchons donc au milieu de paysages époustouflants (au sens figuré, mais aussi au sens propre : nous sommes à plus de 3000 mètres d’altitude). Je laisse les photos s’exprimer :

 

J’aime la marche et plus généralement les défis sportifs. J’aime me dépenser, transpirer, j’aime me sentir sale, surprendre mon corps qui me tire, frotte, lance : je me sens exister. J’aime plus encore cela dans un cadre magnifique, et dans un contexte de découverte d’une nouvelle culture. Car sur ces montagnes vivent des populations, probablement des petits paysans et des éleveurs, arrondissant un peu leurs revenus grâce au tourisme balbutiant de leur région.

Le cinquième jour de ce trek, après une gentille balade au-dessus de 4000 mètres le matin, un 4×4 nous emmène à Gondar, où nous arrivons en début d’après-midi. Quelle joie de retrouver le confort d’un hôtel propret ! Car après cinq jours de marche sous un soleil harassant et quatre nuit de camping à une température frisant les 0°C, après cinq jours à transpirer sans pouvoir se laver, cinq jours à remuer une poussière qui s’est incrustée partout, cinq jours sans pouvoir chier convenablement, nous sommes immondes : les cheveux hirsutes, le visage noirci, non seulement les pieds mais aussi le corps tout entier plein d’escarbille, les vêtements dans un état lamentable. Nous puons. Arrivé dans la chambre, je me jette sur le lavabo pour récupérer tant bien que mal mon pantalon méconnaissable (et j’y parviens à peu près), puis sur la douche. Je vois s’échapper dans la bonde toute la crasse qui se mêle à l’eau chaude… Joie !

Cité royale, Gondar, Ethiopie Cité royale, Gondar, Ethiopie

Gondar est l’autre capitale historique du pays. Contrairement à Axoum, elle a conservé un patrimoine plus important, mieux préservé – mais aussi moins ancien. Gondar fut le centre névralgique du pays à l’époque moderne. C’est une belle ville. Le site le plus impressionnant est probablement le Fasil Ghebbi (cité royale), ensemble de palais construits entre le XVIIème et le XVIIIème siècle. Nous déambulons pendant plus d’une heure entre ces bâtiments qui ressemblent à des châteaux forts, certains à l’état de ruines, d’autres encore bien debout. Là encore, je regrette que le site ne soit pas mieux mis en valeur. Comme beaucoup d’autres en Ethiopie, il a bénéficié de nombreux subsides de l’UNESCO, mais on se demande comment ils ont été utilisés.

Murailles de la cité royale, Gondar, Ethiopie Murailles de la cité royale, Gondar, Ethiopie
Bains de Fasilidas, Gondar, Ethiopie Bains de Fasilidas, Gondar, Ethiopie

A Gondar, nous visitons également les « bains de Fasilidas », lieu reposant et étonnant : autour d’une sorte de chapelle a été creusé un large bassin, vide le jour de notre venue, mais que l’on remplit les jours de fêtes, pour des baptêmes ou autres cérémonies du même genre. Ce bâtiment semble flotter au milieu d’un jardin calme, aux arbres plus que centenaires.

Nous passons les deux derniers jours de notre périple à Bahar Dar, adorable cité au bord du lac Tana, à proximité de la source du Nil bleu. Bahar Dar a le charme des stations balnéaires des climats subtropicaux. Nous marchons en ville, goûtant à son ambiance méditerranéenne. Nous sirotons des Coca au bord de la piscine d’un hôtel de luxe (où nous ne couchons pas). Le temps nous manque pour profiter de son principal centre d’intérêt : la visite des monastères où se sont retirés depuis plusieurs siècles des moines orthodoxes, sur les îles du Lac Tana.

Lac Tana, Bahar Dar, Ethiopie Lac Tana, Bahar Dar, Ethiopie

Non loin de là, une source jaillit et chute : c’est le Nil. En amont de cette chute, l’une des deux sources du majestueux fleuve (l’autre source, celle du Nil blanc, est au Rwanda) contribue à alimenter le lac Tana. Bahar Dar, en Ethiopie, est donc la ville qui a été construite à proximité du lieu d’où part l’un des plus beaux miracles de l’Histoire : l’Egypte, première grande civilisation, apparue en plein désert!

Dos au mur

Je ne sais pas pourquoi j’aime tant photographier les gens lorsqu’ils sont adossés contre un mur. Quand j’en vois, il me prend l’envie de les saisir, de les faire poser dans le soleil déclinant de la fin de l’après-midi, lorsque les couleurs peu à peu virent à l’orange, éblouis qu’ils sont, les yeux mi-clos, les paupières brillantes, comme si la vie avait toujours été ainsi, heureuse, belle, apaisante. J’aime figer cet instant de sérénité, de calme assurance, où la personne photographiée sait que derrière elle une masse forte et sûre la retient, la protège, l’illumine de sa lumière réfléchie.

Dans mon précédent article, j’énonçais mes projets de voyage pour les dix années à venir. Cette fois-ci, je vais proposer une rétrospective non exhaustive des voyages entrepris ces dix dernières années. 2004-2014 : cela doit faire dix ans que je voyage – que je voyage vraiment, je veux dire, de mon gré, de ma propre initiative, avec la volonté de rencontrer des inconnus et de sentir la Terre.

En juillet 2004, je m’étais rendu en Roumanie avec un groupe d’adolescents. Nous étions d’abord partis de Grenoble à vélo pour rejoindre Genève. Après quatre jours à pédaler dans les Alpes, nous avions pris un bus qui nous avait emmenés à Timisoara, dans l’ouest de la Roumanie, ce qui nous avait pris une bonne trentaine d’heures. De là, nous avions loué des minibus pour nous rendre à Oradea. Après une nuit dans cette ville dont j’ai le souvenir d’un charmant centre historique encerclé de faubourgs sordides, nous étions partis en train jusqu’à un minuscule village des Carpates – un hameau, en habitat dispersé, faudrait-il dire. Puis nous avions marché une petite heure avant d’arriver à un barrage sur les rives du lac Dragan. Nous étions alors montés sur une grande barque et les plus forts et les plus téméraires d’entre nous avaient ramé jusque la rive opposée, terminus de notre destination. Nous restâmes une dizaine de jours dans cette campagne où nous nous occupâmes à construire des terrains de sport et des saunas pour les utiliser ensuite, à nous baigner, à marcher, à nous dépenser… Dix jours plus tard, nous refaisions le même trajet, avec les mêmes modes de transport, en sens inverse.

Je n’ai aucune photo de ce périple. Pour compenser, je vous soumets – dans l’ordre chronologique – une sélection de photographies prises ces dix dernières années. Des photos « dos au mur » (sur lesquelles vous pouvez cliquer pour les agrandir).

Haïti, juillet 2006

Haïti, juillet 2006 (2)

Après la Roumanie, c’est en Haïti que j’ai effectué un grand voyage. C’était ma première confrontation avec l’Amérique d’une part, et avec un pays sous-développé d’autre part. Je suis tombé amoureux de ce pays et je m’y suis rendu plusieurs fois par la suite. Cette première photo est la seule de cette série qui n’a pas été prise par moi, et c’est logique vu que c’est moi le blanc que l’on voit au milieu de tous ces enfants noirs. C’est une photo que j’adore malgré son caractère banal, très stéréotypé, car je trouve que j’y rayonne de joie et de sérénité. Pourtant, ce premier voyage n’a pas été facile : ces enfants, autour de moi, vivent dans des conditions alimentaires et sanitaires assez pitoyables, et comme j’habite avec eux, dans leur orphelinat, je subis moi aussi leur précarité. J’attrape la malaria pour la première fois de ma vie, je mange mal et insuffisamment, et je me prends d’affection pour ces enfants. Il me faudra plusieurs semaines à mon retour pour me remettre de ce séjour.

Autre photo prise dans le même orphelinat, à Léogane :

Haïti, juillet 2006

Il me reste de ce séjour en Haïti toute une série d’images, de sensations diffuses, d’enfants qui dansent en sautillant, de peaux poisseuses et sales, de trombes d’eau froide sur des coups de soleil insupportables, de longs trajets poussiéreux à l’arrière de pick-up désarticulés, et de mangues filandreuses qui se coincent entre les dents. Ce sont ces mangues filandreuses que les fillettes assises ici sont en train de dévorer.

Mauritanie, janvier 2007

Mauritanie, janvier 2007

Cette photo a été prise à Chinguetti, dans le Sahara mauritanien, où mon père nous avait invités, mes frères et moi, à marcher une semaine. C’est le premier jour de notre randonnée, le vent balaye le sable qui s’incruste partout et qui finit, quelques minutes après cette photographie, par bousiller mon appareil. Cette semaine était ma première expérience de désert. J’en garde un excellent souvenir. Mon père, qui est lui aussi un blogueur-voyageur, nous a transmis le goût de la mer, et mes frères sont des navigateurs chevronnés. C’est une banalité que de dire que le désert a beaucoup de points communs avec la mer : l’immensité, l’horizon circulaire, les dunes comme des vagues, la perte des repères spatio-temporels… J’ai cherché en vain dans cette photo un lien avec le thème de mon article (« dos au mur ») : difficile de trouver des murs dans le désert, cet espace de liberté par excellence !

Inde, février 2007

Inde, février 2007

Ce qui me plait dans cette photo, c’est surtout le contexte dans lequel je l’ai prise. En février 2007, j’ai effectué un voyage itinérant dans le Rajasthan avec mon ami Antoine, compagnon de route en plusieurs occasions. Nous avions loué une voiture avec un chauffeur. Mais au bout de quelques jours, nous étions un peu frustrés de toujours passer en trombe au milieu de ces paysages. Aussi, nous avons proposé à notre chauffeur de nous laisser marcher un peu, et lui avons donc donné rendez-vous quatre kilomètres plus loin sur la route. Pendant ces quatre kilomètres, nous avons pu converser, échanger quelques mots avec des Indiens à la discussion moins formatée que les habitants des villes ou des lieux touristiques. Ce monsieur, au premier plan, regarde vers une école située juste derrière moi où nous avons été conviés quelques instants.

Inde, février 2007 (2)

Cette autre photo a été prise sur le vif ; j’ai eu le sentiment, en la prenant, de voler cet instant de récréation à ces collégiennes. A Udaipur, ces deux jeunes filles nous regardaient, Antoine et moi, nous balader dans le quartier. Elles souriaient et semblaient un peu moqueuses. J’ai été frappé par la beauté, l’élégance et le raffinement des Indiennes, qui contrastaient fortement avec la  négligence de leurs rustres d’hommes (frères, pères et maris).

Sibérie, août 2007

Sibérie, août 2007

Mon ami Jean-Martin (avec qui je suis parti en Bosnie en 2012) avait déjà effectué un séjour en Sibérie avec son ami Frédéric, qui lui avait même séjourné plusieurs mois à Irkoutsk pendant ses études. En 2007, ils m’ont proposé de les accompagner pour un nouveau voyage, ce que j’ai accepté bien volontiers. A pied, en bus et en bateau, nous avons fait un rocambolesque tour du lac Baïkal. Cette photo a été prise à Irkoutsk, une des principales villes de Sibérie, située au sud du lac ; des jeunes plongent dans l’eau de l’Angara, l’unique rivière recevant  les eaux du lac (tandis que celui-ci est alimenté par plus de 300 rivières).

Sénégal, février 2008

Sénégal, février 2008

C’est dans cette maison aux couleurs ocre, au dernier-plan, qu’est né mon grand-père paternel en 1907. A l’époque, ses parents vivaient à Dakar et cette maternité était située sur l’île de Gorée. Cette maison est aujourd’hui un musée, symbole mondialement connu du commerce triangulaire et de la traite négrière. En effet, avant de devenir une maternité, elle fut une prison où étaient enfermés les esclaves avant leur départ pour les Amériques. Ainsi, cette porte sur la mer que nous apercevons était la « porte du voyage sans retour ». Dos au mur, les captifs embarquaient pour une destination inconnue ; ils ignoraient peut-être qu’ils ne reviendraient jamais sur la terre qui les avait vu naître.

Tunisie, avril 2008

Tunisie, avril 2008

Il y a un charme fou, je trouve, dans cette photographie prise à Kairouan. Cette ville est l’un des hauts-lieux de l’islam. Non loin, à El Jem, on peut encore contempler les ruines d’un cirque romain d’où est parti, en 238, une révolte qui a fait trembler l’empire : le proconsul d’Afrique Gordien, poussé par le peuple, se proclame empereur, ce que le Sénat à Rome confirme immédiatement. Une guerre civile s’en suit, pendant laquelle Gordien se suicide après la mort au combat de son fils Gordien II qu’il avait associé à son pouvoir. C’est finalement son petit-fils, Gordien III, qui devient empereur jusqu’à sa mort en 244.

Pour ces hommes assis ici dans l’attente de se faire coiffer, rien ne subsiste de cette agitation passée et de cette effervescence touristique et spirituelle contemporaine : c’est seulement le calme d’une chaude après-midi de printemps qui se dégage.

Haïti, août 2008

Haïti, août 2008

Haïti, août 2008 (2)

Retour à Léogane, deux ans après. Plus de cent gamins vivent dans des conditions déplorables. Ils traînent en permanence, hagards, rompus par l’ennui et la malnutrition. Ces quatre semaines dans cet orphelinat ont été affectivement très dures. Le tremblement de terre de janvier 2010 a fait s’effondrer le bâtiment que l’on voit derrière ces fillettes (Paola, Johanna et Dieulfina). Pendant un an, les enfants qui n’avaient pas été remis à leur famille ont vécu sous tentes, avant que le foyer ne ferme définitivement ses portes. Les enfants restants ont été répartis dans quelques-uns des quarante-deux orphelinats de la ville. Quarante-deux ! Pour une ville de moins de deux cent mille habitants ! Ces chiffres en disent long sur la situation des enfants en Haïti.

New-York, février 2009

New York, février 2009

Dans New York que j’ai arpentés dans tous les sens pendant une semaine glaciale de février 2009, je me suis demandé s’il était possible de photographier la ville autrement qu’en contre-plongée, au risque de ne pas mettre en valeur l’écrasante impression que nous donnent ces tours immenses. Je crois que la réponse est non. Antoine (de dos au premier plan) et moi nous sommes amusés de ce restaurant où les clients mangeaient face à la rue, donnant l’impression étrange d’être en vitrine.

Centrafrique, septembre 2009-juillet 2011

J’ai vécu deux ans en République Centrafricaine, pays dont j’ai déjà parlé ici et pour commenter son actualité. J’y étais le directeur adjoint d’un internat dans une petite ville de brousse : Sibut.

Centrafrique 2009

Cette première photo a été prise à Mbaïki, en décembre 2009, à une centaine de kilomètres de Bangui. Ces deux garçons sont en train de jouer devant la cathédrale Sainte Jeanne d’Arc. Nous sommes peu après Noël, et je suppose que le pistolet avec lequel joue l’enfant du premier plan est un jouet qu’on vient de lui offrir. En ce moment, en Centrafrique, des enfants du même âge sont munis de vraies armes et je ne crois pas que le jeu occupe une part importante de leur vie.

Centrafrique 2011

Ces jeunes filles posant devant l’Eglise Sainte-Famille de Sibut sont des danseuses liturgiques de la paroisse. A l’occasion des solennités, elles dansent en procession ou devant l’autel. Méliana, la troisième en partant de la gauche (portant un collier vert-rouge-jaune), était une de mes élèves. Je n’ai plus aucune nouvelle d’elle. J’aimais bien son caractère affirmé, son énergie, son intelligence.

Centrafrique 2010

Cette troisième photo a été prise dans l’extrême sud de la Centrafrique, à Bayanga, au bord de la Sangha dans la forêt équatoriale. Sous la tente se déroule le banquet d’un mariage auquel nous avons été invités. Cette région de la Centrafrique est un peu à part dans le pays : peuplée de Pygmées, elle est isolée et bénéficie d’un développement particulier grâce aux ressources forestières et grâce au tourisme « vert » qu’offrent sa faune et sa flore.

Haïti, août 2012

Haïti, août 2012

Je ne peux pas terminer la revue de mes voyages en Haïti sans évoquer le projet le plus important que j’y mène avec l’association « Ti Chans pou Haïti ». En 2006, nous avons commencé la construction d’une maison d’accueil pour orphelins dans l’Artibonite, une région d’Haïti, en s’alliant avec deux autres associations françaises. Voici les 19 enfants que nous avons accueillis et que nous suivons donc depuis presque dix ans. Derrière eux, la maison qu’ils habitent depuis 2010.

Ethiopie, août 2013

Ethiopie, août 2013

Ethiopie, août 2013 (2)

J’ai longuement narré, dans des articles précédents, mon voyage en Ethiopie, à Addis Abeba, à Dire Dawa et Harar, dans la vallée du Rift… Je n’y reviens pas. Je vous laisse seulement avec ces deux photos. La première de trois garçons qui souhaitaient poser pour moi, à Harar. Ils n’ont pas manqué de me demander de l’argent ensuite ; j’ai dû être un peu sec et désagréable pour m’en débarrasser. La deuxième et dernière photo a été prise à Awasa, dans un charmant parc au bord du lac. Les époux qui se retrouvent sous cette arche sont bel et bien dos au mur, ils ne peuvent plus reculer : ils doivent se dire oui pour la vie.

Salam! La paix!

En revenant de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle voici quelques semaines, j’ai été interpellé par cette affiche qui venait chercher mon regard à chaque station du RER B. On y voit deux fillettes marchant dans les décombres d’une ville, et la légende nous appelle : « Prêts pour affronter la rentrée ? Elles, oui ! » On imagine que ces gamines sont des petites palestiniennes ou des syriennes, étant donné que cette affiche est une publicité pour le Secours Islamique.

Je n’avais jamais entendu parler de cette organisation. Piqué par la curiosité, je suis allé sur son site Internet. J’y ai appris énormément de choses sur l’islam. Si on devait résumer, on pourrait dire que cette association a pour vocation de défendre et mettre en œuvre la doctrine sociale de l’islam, en admettant qu’il y ait une doctrine pour un islam : « Le Secours Islamique France s’inspire des valeurs de l’islam, celles de la solidarité et du respect de la dignité humaine, qu’il place au centre de ses préoccupations. Il appelle, par son engagement, ses valeurs et ses missions, à la construction d’une solidarité humaine qui transcende les différences et les frontières. »

En surfant un peu dans les rubriques du site Internet, je découvre des spécificités de la solidarité façon islamique. Par exemple, le Secours Islamique, chaque année, lance une importante campagne d’appel aux dons dans le cadre du ramadan, avec l’accroche suivante : « Pendant Ramadan, invitons le pauvre à notre table. » Je fais la connaissance également d’une forme de don qui me semble extrêmement intéressante : le Waqf. Je vous laisse lire la définition qu’en donne le Secours Islamique : « Le Waqf qui signifie étymologiquement « l’emprisonnement d’un bien légué dans le but de l’exploiter à des fins autres que son propre usage », est l’immobilisation d’un bien pour le faire fructifier et en donner le bénéfice aux pauvres. En d’autres termes, le Waqf est une sadaqa ou aumône continue dont les récompenses, l’utilité et les effets qui en découlent augmentent durant la vie du donateur et continuent après sa mort ; ses bénéfices étant distribués chaque année (fonds de roulement). » J’aime bien le concept, et il mériterait d’être appliqué plus largement.

Longtemps, je me suis méfié de l’islam, et je continue, malgré moi, de ne pas être toujours très à l’aise avec cette religion, essentiellement par ignorance. Mais ces derniers mois, ces dernières années, j’ai eu plusieurs fois l’occasion, par petites touches, de l’appréhender et de mieux le comprendre.

Ma première approche sensible de l’islam a peut-être été – j’ai presque honte de l’avouer – le visionnage d’un film assez mauvais – disons plutôt raté – sorti en 2010 : L’Italien, d’Olivier Baroux. Ce film est un navet, j’en conviens : il raconte l’histoire d’un musulman arabe qui s’est fait passer pour un Italien pour pouvoir être embauché chez Ferrari et ne plus subir le racisme. Ses employeurs, ses collègues, ses amis, sa compagne même, ignorent sa véritable identité, jusqu’au jour où son père mourant lui demande de respecter le ramadan. Notre faux Italien doit alors manœuvrer pour respecter la volonté de son père (et de Dieu !) tout en continuant sa vie « normale » et mensongère.

Etrangement, ce film qui commence comme une comédie se transforme progressivement en satire sociale et en réflexion sur l’islam, sur sa place dans la société française, sur sa spiritualité. J’en suis ressorti avec le sentiment de n’avoir pas totalement perdu mon temps : je m’étais ouvert sur cette religion. J’ai été ému dans ce film par ces petits matins encore ténébreux où l’on prend le Souhour, dernier repas avant l’aube ; par ces soirées communautaires où l’on rompt le jeûne ; par ces prières que l’on dit plusieurs fois par jour ; par cette solidarité qui s’intensifie.

Un autre film auparavant m’avait donné une vision positive et joyeuse de la communauté musulmane en France : c’était La graine et le mulet d’Abdellatif Khéchiche. Dans ce film, une jeune fille génialement interprétée par la trop rare Hafsia Herzi, se met en tête d’ouvrir un restaurant sur une péniche avec un vieux bonhomme qui vit dans l’hôtel tenu par sa mère. Ce restaurant doit avoir une spécialité originale : un couscous au poisson. On voit ainsi cette jeune fille pleine de bagout et de dynamisme remuer ciel et terre auprès des banques et des pouvoirs publics pour ouvrir son restaurant. On assiste à des repas de famille où la bouffe abonde, où l’on rit, où l’on bavarde à refaire le monde.

Plus d’une fois, j’ai eu l’occasion de constater à que point l’islam pouvait être une religion de sérénité et de profondeur. A Harar, où je me suis rendu cet été, j’ai pu observer une communauté ouverte vivant en bonne intelligence avec la forte minorité chrétienne, totalement détachée du conflit israélo-palestinien, libérée des contraintes qui pèsent dans d’autres aires islamiques. J’ai été assez surpris par exemple d’être interpellé dans la rue par Aïcha, une adolescente musulmane qui me proposait de me guider dans la ville. Cela n’avait l’air de choquer personne qu’un homme se promène avec une femme, adolescente, musulmane. Même le voile ne me semblait plus si enfermant que cela : j’ai vu en Ethiopie des femmes extrêmement soignées, élégantes, belles dans leur voile. A Harar, c’était jour de fête quand je suis arrivé, et les femmes étaient superbes. Aïcha elle-même passait son temps à jouer avec son voile, à l’enlever, le remettre, l’ajuster, d’une façon très sensuelle. Plus tard dans mon voyage, j’ai passé plusieurs heures dans un minibus avec devant moi une jeune femme dont le voile encadrait magnifiquement un beau visage fin ; elle ne l’a ôté qu’une fois, très furtivement pour le réajuster, et j’ai trouvé son geste très gracieux.

En 2008, un livre de Atiq Rahimi a connu un franc succès en obtenant le prix Goncourt. Syngué Sabour est un roman fin, douloureux et poétique qui raconte l’histoire d’une femme – probablement une Afghane – libérant sa parole auprès de son mari dans le coma. Celui-ci semble éveillé, il respire, et peut-être entend-il sa femme prier à ses côtés et raconter sa vie de fille puis de femme, dans un pays en guerre.

Récemment, j’ai justement terminé les mémoires d’un ancien moudjahid afghan, Amin Wardak. Outre que cet ouvrage est passionnant pour comprendre l’Afghanistan contemporain, son histoire, ses enjeux, il m’a permis d’appréhender l’islam avec plus de bienveillance. Tout au long du livre, Amin Wardak nous explique à quel point il a toujours été désireux de défendre sa culture, sa religion, et son approche particulière de l’islam qui diffère de celle des arabes. Certaines pages m’ont vraiment ému : « Quand venait le ramadan, le seul souci de mon père était alors de se mettre à la disposition de Dieu et de prier. Chaque année depuis sa jeunesse, il partait avec des gens très pieux, même en dehors du ramadan. Chaque année, il s’isolait quarante jours pour jeûner dans la montagne, dans une grotte, comme le prophète. […] Le soir, ils mangeaient juste une galette avec de l’eau. Ils priaient le jour et la nuit, ils dormaient très peu. C’est la nuit que l’on prie le mieux. […] Je me rappelle, quand j’avais environ six ou sept ans, comme j’étais impressionné quand je le voyais revenir : il avait maigri, mais il était lumineux, rayonnant de bonté. »

C’est cette culture et cette spiritualité qu’Amin et les résistants ont voulu défendre contre les communistes, contre les Soviétiques, puis contre les partis politiques qui manœuvraient au Pakistan, contre des opportunistes et des ambitieux.

Selon moi, les musulmans de France sont trop souvent obsédés par la question israélo-palestinienne. J’ai toujours été ahuri qu’un si petit bout de terre aux confins orientaux de l’espace méditerranéen soit responsable de tant de conflits au Proche-Orient et dans le monde. Je me rappelle un événement qui s’était déroulé dans une synagogue, il y a quelques années. Je travaillais alors dans un lycée qui proposait aux élèves, en début d’année, de rencontrer des croyants de confessions diverses dans leurs lieux de cultes respectifs. Un de mes élèves, un musulman, n’arrêtait pas d’interroger le rabbin sur l’Etat d’Israël. Le rabbin, un peu gêné, y répondait mais il finit pas interroger à son tour le garçon :
« – Jeune homme, tu n’es pas palestinien ?
– Non, je suis français !
– Parfait. Et bien moi je suis français aussi. Je ne suis pas Israélien. Je ne suis pas l’ambassadeur d’Israël. Alors ne t’occupe pas de ce conflit qui ne te regarde pas et qui ne me regarde pas non plus. Vous n’êtes pas venus pour m’écouter parler de géopolitique, mais de Dieu, et de la foi. Ce conflit n’est pas le nôtre, nous n’avons pas à importer ici cette guerre. »

Pour se saluer en arabe ou en hébreux, on formule l’interjection suivante : « Salam ! » ou « Shalom ! », ce qui littéralement signifie : « La paix ! ». A force de prononcer ce mot plusieurs fois dans la journée simplement pour se dire bonjour, on peut espérer qu’il finisse par être mis en pratique.

Bibliographie :
SOURDEL Dominique, L’Islam, PUF, collection « que sais-je ? », 1ère édition 1949
RAHIMI Atiq, Syngué Sabour, POL, 2008
WARDAK Amin, propos recueillis par Christine de Pas, Mémoires de guerres, Arthaud, 2009

Filmographie :
KHECHICHE Abdellatif, La graine et le mulet, 2007
BARROUX Olivier, L’Italien, 2010

Webographie :
Secours islamique

Il n’y a pas d’aventure (?)

« Pour que l’événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu’on se mette à la raconter. C’est ce qui dupe les gens : un homme, c’est toujours un conteur d’histoires, il vit entouré de ses histoires et des histoires d’autrui, il voit tout ce qui lui arrive à travers elles ; et il cherche à vivre sa vie comme s’il la racontait. Mais il faut choisir : vivre ou raconter. […] Quant on vit, il n’arrive rien. Les décors changent, les gens entrent et sortent, voilà tout. […] Par moments – rarement – on fait le point […]. Après ça, le défilé recommence, on se remet à faire l’addition des heures et des jours. Lundi, mardi, mercredi. Avril, mai, juin. 1924, 1925, 1926. Ça, c’est vivre. »

Quand j’ai lu ce texte dans le roman de Sartre, La Nausée, paru en 1938, je me suis senti en plein accord avec lui. Je vivais alors dans une petite ville de Centrafrique – Sibut « la Captivante », tel était son nom. À cette époque, ma vie était faite d’histoires de serpents, de marigots, de typhoïde, de latrines dégueulasses, de rebelles en brousse, de poussière et de chaleur, d’éléphants, de Pygmées, de Gbaya, de Bandas, de Yakomas et de Mandja, de manioc, de chauves-souris insomniaques, d’enfants cradingues, de latérite, de caïmans, de 4×4. Mais ce qui avait pu me sembler extraordinaire dans les premières semaines, et que mes proches restés en France continuaient probablement à considérer comme aventureux, était devenu ma vie, donc tout à fait banal. J’étais prof, voilà tout. Que ce fût dans la brousse centrafricaine ne changeait finalement pas grand-chose.

J’avais d’ailleurs rédigé un article dans lequel je faisais référence à cet extrait de La Nausée, et à cette expression « il n’y a pas d’aventure ». Je l’avais surtout écrit parce que je voulais avoir des nouvelles des uns et des autres, et que je réfutais les arguments qui disaient « mais tout cela doit te sembler terriblement sans intérêt à côté de tout ce que tu vis ».

Voici ce que j’écrivais alors: « Bien sûr, je peux me dire, quand je pars acheter un bœuf, quand je fais cours à ces petits noirs qui n’ont rien – et à ceux qui sont fils de ministres – , quand je marche dans ces petits villages où des gamins courent à cul nu en faisant tourner une roue avec un bâton, quand je roule en 4×4 sur des pistes boueuses où peuvent à chaque virage nous attendre des bandits qui nous dépouilleront, quand je mange de l’antilope avec du manioc, bien sûr, dans ces moments-là, je peux croire que je vis une aventure. En réalité, ces événements ordinaires, ces instants bourrés de banalité, ces petites heures de la vie quotidienne ne deviennent des aventures que lorsque je les raconte. Je me dis « quelle aventure ! ». Il arrive parfois que dans l’instant, je sente l’aventure ; alors je sors l’appareil photo (ou je regrette de ne pouvoir le sortir), je me précipite sur un carnet, un bout de feuille, un ordinateur pour le raconter. Je fixe ma mémoire, je veux me rappeler de cela. Mais vivre l’aventure dans l’instant, la sentir comme telle, la nommer ainsi au moment où elle se produit, c’est, je crois, se forger artificiellement des souvenirs. »

La vérité, c’est qu’au bout d’un moment je m’étais doucement ennuyé et que la quantité phénoménale de travail qui m’accablait ne suffisait pas à noyer ma neurasthénie. Quand on croit vivre une aventure, on traverse des lieux où des gens, eux, vivent leur banal quotidien, on s’extasie devant des personnes qui vivent leur vie, on prend peur en photographiant des combats de rue quand des pauvres hères tentent de traverser la rue pour faire leurs courses. C’est exactement ce que j’ai fini par ressentir au bout de quelques mois en Centrafrique: ce qui avait pu me sembler exceptionnel au début n’était plus qu’une vie ronronnante et pépère, à couler des jours tranquilles, dispensant mes cours, prenant des repas répétitifs, sortant un peu en ville de temps à autre, allant à la messe le dimanche, profitant de mes vacances pour rendre visite à mes amis français.

En février dernier, je me suis rendu en Haïti pour la quatrième fois depuis 2006. J’y ai rejoint Alix, une amie qui y était déjà depuis plus d’un mois et qui devait encore y rester quelques semaines après mon retour. Tandis que nous allions de Léogane aux Verrettes, nous sommes passés par Port-au-Prince, ce qui est le trajet normal, et même obligatoire. Mais, à un moment, j’ai eu une intuition étrange: bien que le trajet que nous empruntions ne fût pas celui auquel j’étais habitué (première bizarrerie), les rues que j’observais me semblaient familières, comme si je les avais déjà vues ou traversées (deuxième bizarrerie). En fait, je savais: ces rues, je les avais vues à la télévision, dans des reportages sur Haïti. Alors je demandai au chauffeur:
– Comment s’appelle ce quartier que nous traversons?
– Cité Soleil, me répondit-il.

« Cité Soleil »: ce nom fait peut-être rêver, mais c’est en fait le quartier le plus dangereux de Port-au-Prince, c’est là que s’y concentrent toute la pègre de la ville, toute la misère, tous les dangers. Les braquages, les viols, les vols, les passages à tabac n’y sont pas rares. C’est du moins ce qu’on raconte. C’est ce que nous montrent ces reportages que j’ai vus à la télévision. Habituellement, nous contournons donc ce quartier, même si cela nous fait perdre plus d’une heure de route.

Alix et moi eûmes une conversation sur ce trajet que nous effectuions, songeant qu’il était assez facile de transformer un événement banal en une aventure. Nous traversions Cité Soleil: nous pouvions en faire quelque chose d’extraordinaire, alors qu’il ne se passait rien. Nous étions dans la voiture, nous roulions, les gens au-dehors faisaient leurs petites affaires, et voilà. Ce qui était sûr, c’est que je ne regrettais pas ce raccourci: nous évitions tous les bouchons de Port-au-Prince!

Traverser Cité Soleil, ou d’une façon générale se rendre en Haïti, est encore considéré par beaucoup comme une folie. Quand je parle d’Haïti, on me répond souvent : criminalité, violence, enlèvements, Chimères et Tontons Macoute… Il suffit même de lire les comptes-rendus du ministère des Affaire Étrangères pour s’en faire une idée. C’est à frémir d’angoisse! Pourtant, je n’ai jamais senti – pas un seul instant – la moindre insécurité dans ce pays. Je ne nie pas les faits relevés par la presse, ni la pauvreté de ce peuple, ni la situation pitoyable des enfants laissés à l’abandon en masse. Et je ne me promène pas bagues aux doigts et chaînes au cou dans Cité Soleil, Canaan ou Martissant, et encore moins la nuit! Mais vous ne me verrez jamais non plus à Villiers-le-Bel ou Montfermeil. Quand une bande de jeunes a racketté une rame de train l’année dernière, ce n’était pas à Port-au-Prince, ni même d’ailleurs dans une banlieue particulièrement chaude de la banlieue parisienne. Les tortures d’Ilan Halimi, ce n’était pas à Bagdad, la tentative de viol et la réussite de meurtre de la jeune Anne-Lorraine, ce n’était pas à Bogotá ! Chez moi, le patron d’un magasin de vêtements s’est fait tirer dessus il y a quelques années, un autre a été assassiné dans une commune voisine… En France, y compris dans les banlieues « froides » ou dans les quartiers pauvres et sans histoire, on multiplie les digicodes, interphones et portes blindées depuis une vingtaine d’années… Ce n’est pas moins inquiétant que ces villas surprotégées des hauteurs de Port-au-Prince !

Récemment, j’étais en Ethiopie. Le dernier jour de mon voyage, je suis rentré en bus du Sud du pays à Addis Abeba et suis arrivé à une gare routière dont je ne parvenais pas à identifier l’emplacement dans la ville. J’avais lu trop vite les indications des guides, et je me suis retrouvé dans un quartier que je ne connaissais pas, sans aucune idée de sa situation, avec tout mon barda, au milieu d’une faune humaine grouillante et gueulante… Il était 15 heures, j’avais franchement faim, et ma première idée était de vouloir manger, ou à défaut de trouver un taxi pour m’emmener en un lieu déjà repéré. Or, pas la moindre gargote à l’horizon, et pas un seul taxi ne venait me rassurer. Je me suis donc retrouvé à marcher à l’instinct pendant un long moment, avant de comprendre où j’étais tombé : dans « Mercato », le plus grand marché ouvert d’Afrique, où tous les guides conseillent de venir les poches vides. Et là, je rentre dans un état de semi-panique, pour la deuxième fois de ma vie (la première était à l’aéroport de Miami) : la fatigue, la faim, le stress font que mon cerveau ne fonctionne plus normalement, les informations ne me parviennent plus comme il faudrait, je n’arrive pas à me calmer, je tourne en rond, je ne sais plus m’exprimer, je perds peu à peu mes nerfs… J’ai juste une petite voix absurde qui me dit : « ça, il faudra le raconter. » Le raconter, mais pour quoi faire ? En fait d’une aventure, c’est plutôt ce qu’adolescents nous appelions un « plan galère ». Pour nous, affronter un plan galère, c’était vivre l’aventure ! Mais un plan galère tout seul, c’est surtout l’enfer ! Finalement, au bout d’une petite heure d’errance et de stress à tenter d’oublier les regards, les harangues et les bousculades, je trouve un taxi qui me sauve de ce lieu terrible.

Avec le recul, j’accepte tout de même que mon expérience centrafricaine fut une belle aventure. J’admets que mes missions en Haïti sont des aventures plus belles encore. Je reconnais que mes voyages ont parfois des parfums d’aventure. Encore faut-il s’entendre sur cette expression, et ne pas la confondre avec l’exotisme. L’aventure, c’est précisément le contraire de l’exotisme. L’exotisme, c’est la transformation du réel pour le rendre conforme aux clichés que l’on se fait d’une culture : danses traditionnelles, folklores reconstruits, négation de la modernité, accoutrements ridicules. L’aventure balaie ces reconstitutions pour se confronter à certaines laideurs du monde, et pour en voir la beauté dans les choses les plus simples. C’est pour cela que je déteste tant les destinations trop touristiques et que je privilégie au contraire les pays oubliés qui ont pourtant, eux aussi, quelque chose à montrer.

Jean-Claude Guillebaud, grand reporter, écrit : « Au total, la véritable alchimie du voyage tient à ce paradoxe inaugural : si toute pérégrination aventureuse nous conduit d’abord vers l’autre, c’est vers un « autre » compris non pas dans son irréductible différence mais dans sa proximité, et même dans sa proche fraternité. Car, en retour, cet autre vers qui je vais me demande réciproquement d’être moi-même. Pas déguisé… »

Ainsi, la rencontre d’un autre semblable, et non différent, est-elle au cœur de la notion d’aventure. Si Sartre a voulu la dénigrer, c’est d’ailleurs probablement parce qu’il était un gros froussard misanthrope, tout fiérot qu’il fut par la suite de refuser le Nobel, mais prompt à recevoir les honneurs de l’URSS et de Cuba. Probablement faut-il distinguer les aventuriers amateurs (dont je fais peut-être partie) qui se font un peu peur, prennent un peu froid, et souffrent un peu de la faim pour se sentir pleinement hommes, des vrais aventuriers, des Aguirre et des Cortès, des Lawrence d’Arabie et des Cecil de Rhodésie, des Rimbaud et des Monfreid, des Kouchner et des Chaliand, qui ont cela dans la peau et dans l’âme, qui ont pris des risques, parfois les armes, au Nouveau Monde, en Syrie, au Zimbabwe, en Abyssinie, en Afghanistan, en Érythrée, en Bosnie ou en Guinée. À cette typologie de l’aventurier faut-il ajouter les imposteurs, ceux qui se mettent en scène pour pouvoir parader sur les plateaux de télévision en chemise blanche?

L’aventure, à des degrés divers, on pourrait dire que c’est le fait de casser son quotidien, de faire violence à ses modes de pensée, c’est aller contre ses habitudes et ses instincts, c’est se mettre en danger, d’une façon ou d’une autre (pas forcément en danger de mort!), c’est, comme l’écrit Jean-Christophe Rufin, le contraire du principe de précaution, c’est « la volonté de se sentir responsable, c’est-à-dire de n’incriminer personne pour les souffrances, dommages, préjudices que l’on pourrait éventuellement subir, […] c’est être actif et non passif, souverain de sa vie et non sujet implorant du maître tout-puissant que serait la « société » », et c’est aussi – n’en déplût à Sartre – savoir interpréter ce qu’on vit. Une aventure ne me semble complète que si elle se joue à la fois dans l’action et dans la pensée. C’est d’ailleurs un peu le sens des deux catégories de ce blog: « chez moi » / « chez eux ». Lorsque je suis chez eux, c’est-à-dire chez les autres, je vis l’aventure, elle m’exalte et me fait vivre. Et lorsque je suis chez moi, je continue de penser, je fais le point, je me projette. La pratique sans théorie est aveugle, purement pragmatique et sans fondement. Ceux qui se vantent d’être toujours sur le terrain et jamais dans leur bureau sont à plaindre: ils ne peuvent pas prendre de bonnes décisions, n’ont aucun recul sur leurs actes, et ne sont jamais disponibles, ils n’ont pas le cœur véritablement ouvert à la rencontre avec l’autre. J’ai connu un évêque qui n’était jamais à son bureau. Résultat: on ne savait jamais où le trouver, et il ne prenait jamais le temps de réfléchir, de se poser calmement les bonnes questions; ses décisions et ses remarques étaient pleines de ce trop-plein d’action.

Je réfute donc totalement Sartre, pour qui l’alternative vivre/raconter est exclusive. Son erreur est en fait de penser que l’aventure doit être pleine d’éclat, sans ennui, sans temps mort. Mais les soldats s’ennuient dans leurs casernes; il n’y a pas plus pénible et barbant qu’un long trajet dans un minibus bondé en Afrique; chier presque en public dans des latrines immondes et puantes n’a rien de glorieux; la traversée de l’Atlantique par Christophe Colomb n’était pas exaltante; se farcir des pavés de la littérature pour tromper l’ennui ou attendre que la pluie cesse manque de superbe. Mais au final: la guerre, des rencontres, des réflexions sur la faiblesse et le ridicule humains, des grandes découvertes, des plongées dans des univers riches de nouveautés et de mystères.

Voici comment Patrice Franceschi présente la collection « Points Aventure » qu’il dirige aux Editions Points : « Il y a 2500 ans, Pindare disait : « N’aspire pas à l’existence éternelle mais épuise le champ du possible. » […] Vingt-cinq siècles plus tard, l’énergie vitale de Pindare ne serait-elle pas un remède au désenchantement de nos sociétés de plus en plus formatées et encadrées ? Et l’esprit d’aventure l’un des derniers espaces de liberté où il serait encore possible de respirer à son aise, d’agir et de penser par soi-même ? C’est sans doute ce que nous disent les livres qui, associant aventure et littérature, tentent de transformer l’expérience en conscience. »

Pour moi, le modèle type et fantasmé de l’aventurier, c’est Indiana Jones : un intellectuel, un professeur un peu austère, un puits de culture, un trompe-la-mort, un homme d’action. Quand je voyage, je suis sans doute un peu ridicule avec mon chapeau d’aventurier, mais c’est ainsi, j’y tiens: on a tous nos modèles, et je me plais à ressembler à cet archéologue casse-cou, à défaut de l’égaler.

Bibliographie :

Si vous tenez vraiment à vous farcir ce pensum déprimant, ce traité de misanthropie, ce monument de mauvaise foi, je vous en donne les références :
– SARTRE Jean-Paul, La Nausée, Gallimard, 1938, Folio, 1972

Toutes les citations, en dehors de celle de Sartre, sont tirées du premier livre publié dans la toute récente collection « Points Aventure ». Ce livre est un manifeste écrit par plusieurs figures de « l’aventure » française : Rufin, Guillebaud, Chaliand, Tesson, Franceschi… Je l’ai lu tandis que j’étais en train de terminer cet article, et il m’a semblé bon de venir l’abreuver des réflexions soulevées par lui :
– Sous la direction de FRANCESCHI Patrice, L’Aventure pour quoi faire ?, Editions Points, 2013.

Filmographie :

Pourquoi ne pas vous replonger dans la quadrilogie d’Indiana Jones, réalisée par Steven Spielberg ?
– Les Aventuriers de l’Arche perdue, 1981
– Indiana Jones et le temple maudit, 1984
– Indiana Jones et la dernière croisade, 1989
– Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, 2008

13 mois de soleil

Le calendrier éthiopien a cela de particulier qu’il comporte 13 mois, le dernier étant nettement plus court que les autres (5 ou 6 jours), ce qui permet à la propagande touristique d’affirmer qu’en Éthiopie on passe treize mois de l’année sous le soleil. C’est assez bien vu, mais ce slogan met de côté les saisons de pluies et de froid, dont j’ai eu l’occasion de goûter un échantillon. Cela me fait penser à ces Bretons qui prétendent qu’en Bretagne on voit le soleil tous les jours… au moins une fois par jour. Moi qui ai passé quelques étés en Bretagne, je peux affirmer que même sous cet angle, ce n’est pas vrai.

Toutefois, l’Ethiopie est un pays que je recommande mille fois. Car là-bas, il y en a pour tous les goûts et pour tous les budgets.

Harar, août 2013
Harar, août 2013

Si vous aimez l’histoire et la culture, vous avez de nombreux sites archéologiques, notamment celui où l’on a retrouvé Lucy. Vous avez également de vieilles cités antiques ou médiévales telles que Harar, ou Axoum et Gondar.

Si vous aimez la spiritualité, vous avez les églises troglodytes de Lalibela et les 99 mosquées de Harar, que je n’ai pas comptées. Vous rencontrerez une des communautés chrétiennes les plus anciennes : les Ethiopiens orthodoxes, chrétiens depuis les premiers siècles. Vous trouverez le souvenir des Falachas, les seuls juifs noirs de la planète, dont la plupart ont toutefois migré en Israël.

Hyènes à Harar, août 2013
Hyènes à Harar, août 2013

Si vous aimez la randonnée, la nature, l’observation de la faune et de la flore, vous avez le parc national des lacs Abijata et Shalla où fourmille une faune fantastique ; les Monts du Balé où vous trouverez des parcours de trek bien organisés ; les sources du Nil Bleu ; les déserts de sel du Danakil, lieu le plus hostile de la planète ; les sources chaudes de Sodéré ou de Garagadi : le parc national d’Awash; le parc du Simien, magnifique… Certes, si ce sont les « Big Five » qui vous intéressent, c’est plutôt le Kenya ou la Tanzanie qu’il vous faut, mais vous saurez peut-être vous contenter des hyènes, des hippopotames, des pélicans, des chameaux, tous très accessibles…

Si vous aimez l’authenticité des peuples encore peu soumis aux ravages de la mondialisation, vous avez les confins du Sud et de l’Ouest où vivent les les Arsi, les Woleyta, les Oromo, les Konso, les Erboré…

Si vous êtes Rastas, vous aimerez peut-être la communauté de Shashemene, composée essentiellement de noirs américains et caribéens venus retrouver la terre mère dès les années 1950.

Si vous goûtez peu à l’Afrique, ses misères, son foutoir, ses fournaises, ses routes harassantes, les grandes destinations sont desservies par les avions de la très sûre compagnie Ethiopian Airlines, en plein développement. Vous pourrez très facilement vous connecter sur Internet; le réseau de téléphonie mobile fonctionne parfaitement bien. Vous trouverez des hôtels aux standings internationaux. Le climat est dans beaucoup de régions très supportable car la tropicalité est nuancée par l’altitude.

Si vous n’êtes pas très riches, vous avalerez des plats locaux aussi bien que des pizzas, burgers, lasagnes, pour 3 à 6 euros (boisson comprise); vous serez logés très convenablement pour 10 euros; vous vous déplacerez très facilement en minibus, en tuk-tuk ou en taxi. Les routes sont de très bonne qualité dans l’ensemble.

Toutefois, vous ne couperez pas aux harangues incessantes; vous n’échapperez pas à ces indigents et ces estropiés qui se traînent par terre et qui puent; vous trouverez difficilement des petit-déjeuner de qualité, le service dans les restaurants et ailleurs sera parfois à désirer; vous arriverez à vous faire comprendre en anglais pour l’essentiel mais vous ne pourrez pas converser sur Schopenhauer ou sur la crise de la dette; vous aurez parfois le sentiment d’être une vache à lait, il faudra batailler dur pour ne pas vous faire arnaquer et vous vous ferez arnaquer quand même.

Quant aux femmes éthiopiennes, je me suis demandé sur quoi reposait leur réputation en rentrant de mon premier voyage dans l’Est et le Sud. Dans le Nord, j’ai compris! Mais ce n’est pas le plus important, la beauté de l’Ethiopie est ailleurs…

Pour plus d’informations, lire mes articles sur l’Ethiopie:
– Addis Abeba
– Harar et Dire Dawa (Est)
– La vallée du Rift et Awasa (Sud)
Lalibela, Axoum, Gondar, Bahar Dar, Parc du Simien (Nord)

Autour du Lac Langano, août 2013
Autour du Lac Langano, août 2013

La vallée du Rift

Du Mozambique à la Syrie, une immense faille béante creuse la surface de la Terre selon un axe Sud-Ouest / Nord-Est, sur 6000 kilomètres environ. Cette longue et vaste fracture ouverte il y a 35 millions d’années s’appelle la Vallée du Rift dans sa partie africaine. Elle sillonne le Mozambique, le Kenya, l’Ouganda, la Somalie et l’Ethiopie. En la remontant depuis le Sud, elle s’effondre un peu après Addis Abeba et s’élargit pour former le triangle Afar, avant de se laisser engloutir par la Mer Rouge. Au sud d’Addis, dans sa partie la plus étroite donc, la Vallée du Rift est un lieu de tous les mythes. C’est là par exemple qu’on y a découvert Lucy, ce qui laisse penser que cette région pourrait être celle des origines de l’humanité. Une route secondaire, que je n’ai pas prise, est saupoudrée de sites préhistoriques.

On raconte aussi que sur l’une des îles de l’un des sept lacs qui y sont ancrés – l’île Tullu-Gudu sur le lac Ziway – une église maintenant en ruine aurait contenu l’Arche d’Alliance. Celle-ci contenait les tables de la Loi que Dieu avait transmise à Moïse sur le mont Sinaï. La Bible, complétée par d’autres légendes, raconte que sous le règne de Salomon, une dénommée Makeda, reine de Saba, se rendit en Israël. Subjuguée par la sagesse et la splendeur de Salomon, elle lui remit quantité de cadeaux et se convertit au judaïsme. Salomon, tout sage qu’il était, n’en passa pas moins outre le refus et la virginité de la chaste reine, et la viola avec son consentement, si je puis oser ce vilain oxymore. Après la nuit qu’ils passèrent, Salomon remit à Makeda un anneau royal, pour le cas où elle enfanterait. Elle repartit dans son royaume que l’on situe dans l’Ethiopie actuelle, et effectivement elle enfanta. Non seulement cela légitima que certains chefs de guerre prissent le pouvoir en se déclarant héritier de Salomon et de la reine de Saba (c’est la dynastie salomonide du IIème siècle à 1974, avec plusieurs longues interruptions), mais en plus cela permit aux Éthiopiens de récupérer l’Arche d’Alliance. En effet, le royal fiston, Ménélik, à l’âge adulte, fut envoyé connaître son père. Celui-ci l’oignit de l’huile royale et le renvoya régner en son nom en Éthiopie avec un morceau de l’Arche, accompagné par les premiers-nés de tous ses conseillers. Les jeunes gens, allez savoir pourquoi, ne voulant pas se contenter d’un bout d’Arche, s’emparèrent de toute la sainte relique et partirent avec à Axoum, la capitale du royaume juif d’Afrique, pour suivre Menelik. Au XVIème siècle de notre ère, la chute d’Axoum incendiée par les musulmans poussa les prêtres à la fuir en emportant avec eux l’Arche et la cachèrent sur l’île Tullu-Gudu.

Remonter la vallée du Rift, c’est donc plonger dans un monde de légendes et d’hypothèses scientifiques qui nous mènent aux confins des mystères de l’humanité. C’est cette route que j’ai empruntée dans la troisième partie de mon voyage.

De Harar à Adama (Nazreth): des sardines en boîte

Il fait encore nuit et je suis réveillé depuis une dizaine de minutes lorsque mon téléphone sonne et qu’une voix au combiné m’ordonne: « wake up! » Je ne suis pas surpris parce que la veille, en réservant une place dans un minibus pour entamer mon voyage vers le Sud, le responsable du bureau m’a prévenu: « soyez prêt à cinq heures, je vous appellerai pour vous dire que le bus est devant votre hôtel ».

Sa ponctualité me frappe. Le bus dans lequel je m’installe est déjà presque complètement rempli. Le chauffeur est sur la fin de sa tournée de ramassage. On m’installe sur la banquette du fond, à une place qui me laisse les jambes à peu près dégagées (j’ai connu bien pire), et surtout à côté de personnes pas trop épaisses. Ma voisine de droite, en particulier, est une musulmane oblongue et maigrelette de douze ans environ. Elle porte une belle robe presque moulante en coton couleur carmin, et sa tête est recouverte par un voile rose aux broderies raffinées. Au bout de trente minutes, le type à ma gauche vomit, ce qui casse un peu l’ambiance extrêmement calme – pour ne pas dire endormie. Notre malade a tout de même eu la décence d’anticiper son vomis et de le déposer délicatement dans un sac en plastique qu’il jette ensuite par la fenêtre. À ce stade du voyage, il fait presque froid au dehors, une pluie dégueulasse rend la route de montagne un peu dangereuse, et le brouillard épais ne me permet pas, hélas, d’admirer le paysage. Ce n’est qu’un peu avant 8 heures que pluie et brouillard se dissipent, et le spectacle qui s’offre à nous est réjouissant: je peux observer le plateau du Haragué qui descend à perte de vue jusqu’à la vallée du Rift, tandis que des chameaux broutent ici et là, certains suivant en caravane une route qu’eux seuls connaissent. Ils me font prendre conscience que la température a monté et que je n’ai pas bu depuis la veille au soir.

Ce n’est qu’après la pause du petit-déjeuner que l’ambiance commence à se réchauffer dans le bus. La pause en elle-même nous a réveillé. Mes compagnons de voyage se sont amusés de la jeune serveuse extrêmement bavarde avec moi… en amharique… On me traduisait, je lui répondais en anglais, on lui traduisait. Une fois que le bus se remet en branle, je sors ma carte de l’Ethiopie pour comprendre où nous en sommes de notre trajet. Ma petite voisine semble fascinée par ma carte. Je lui montre Harar, je lui désigne le point où nous sommes maintenant, et la route qu’il nous reste à faire jusqu’à Addis. Là encore, elle parle amharique et moi anglais, mais nous nous comprenons. Motivé par son enthousiasme, je sors mon IPad et lui montre mon « Petit Futé » numérique et quelques photographies que j’ai prises, oubliant un instant que mon vomito de voisin, qui bien sûr s’intéresse lui aussi à mon exposé, pourrait nous refaire une crise à se concentrer comme ça sur un point fixe. Je décide d’écourter mon étalage de richesses.

Je signale au passage que le « Petit Futé », qui a le mérite d’être le seul guide disponible en français sur pas mal de destination, mais qui a l’inconvénient d’être souvent assez mauvais (notamment à cause de ses pitoyables cartes), s’avère ici assez précieux. Entre lui pour les questions pratiques (où manger, où dormir, etc.), le guide Olizanne pour les aspects culturels, et les conseils épars pris çà ou là, j’arrive à très bien planifier mon voyage. Pour l’instant, je n’ai jamais perdu mon temps à chercher une gare routière introuvable ou à me pointer devant un hôtel qui n’existait plus.

Après un peu moins de neuf heures de route passées assez vite tant la contemplation du paysage suffisait à m’occuper, malgré l’insupportable musique à fond que s’échinait à nous imposer le chauffeur et malgré le refus catégorique de la totalité des voyageurs à vouloir ouvrir les fenêtres – ne serait-ce qu’un peu – alors que la température est maintenant très élevée et qu’on étouffe franchement, nous arrivons à Adama (anciennement Nazreth), qui constitue pour moi la première étape – purement technique, pour couper la route – de ma remontée vers le Sud. Franchement épuisé, je ne résiste pas au plaisir de me payer l’étape dans un hôtel très confortable, avec des chambres fraîches, propres et bien aménagées, avec une piscine et une atmosphère très calme. Cette ville sans intérêt en gagne donc un pour moi: me reposer au bord de la piscine.

De Adama à Awasa, via le lac Langano: le roi de la route

Ces trois jours étaient bien partis pour être de tout repos: une courte étape jusqu’au lac Langano où je devais passer deux nuits, puis une autre étape plus courte encore pour Awasa. Si je voulais être concis, je pourrais effectivement m’en tenir à cette version.

Sauf que, pour commencer, la première étape Adama-Langano s’est avéré un calvaire. Déjà, à la gare routière d’Adama, des routiers rigolards me font aller d’une station à une autre, avant que je comprenne enfin d’où partent vraiment les bus pour Bulbula (le village où je dois m’arrêter). Il faut dire que le mot « Bulbula » me fait rigoler moi aussi, et je me sens un peu ridicule en le prononçant. Une fois installé dans mon bus commence le trajet le plus pénible de mon voyage. Pour une raison qui me dépasse en grande partie (je n’ai que des hypothèses à formuler, mais je vous les épargne), je vais prendre quatre bus différents, dont le dernier (qui couvre la minuscule portion de Bulbula jusqu’à l’intersection de la « main road » avec le chemin vers le lac) ne va même pas comprendre où je dois m’arrêter. Selon moi, le receveur me fait payer trop cher. Au bout de quelques kilomètres, je finis par m’étonner qu’il ne s’arrête toujours pas, étant donné que j’avais estimé l’embranchement avec mon chemin beaucoup plus proche. Je lui redonne donc ma destination, je dois répéter trois ou quatre fois en variant les prononciations avant qu’il comprenne enfin. Il fait arrêter net le chauffeur, me fait descendre en me montrant la route dans le sens opposé et me laisse en plan en pleine brousse. Là, à ce moment-là, avec mon paquetage sur le dos, au bord de cette route, au milieu de nulle part, je sens la colère qui monte en moi après une matinée de fatigue, et je regrette de ne pas avoir fait avaler ses dents pourries à ce crétin de receveur qui de toute façon ne parlait pas un mot d’anglais et à qui par conséquent je n’ai pas pu exprimer mon mépris total. Je pars donc en sens inverse, et me voici, crevant la dalle, en plein soleil, dans un paysage que je n’ai pas envie d’apprécier, marchant vers un lac que je ne vois pas, vers un hôtel dont – je m’en rendrais compte après une heure – j’avais sous-estimé l’éloignement de la « main road ».

Et quand j’arrive enfin à l’hôtel, les chambres sont moches et d’une salubrité douteuse malgré leur prix exorbitant (j’apprendrai plus tard que le prix est le double pour les étrangers, alors que les gros Éthiopiens qui y sont venus avec leur grosse femmes, leurs gros enfants et leur gros 4×4 sont sans doute plus riches que moi), et la carte du restaurant est d’une pauvreté d’autant plus pauvre que tous les plats proposés ne sont pas servis. Pour couronner le tout, l’eau du lac est d’une couleur saumâtre qui ne donne pas du tout envie de s’y baigner – et je ne m’y baignerai d’ailleurs pas. Bref, en me couchant ce soir-là, après une douche dont l’eau huileuse est visiblement pompée dans le lac, je déprime un peu, surtout que la pluie s’est mise à tomber en fin d’après-midi, ce qui a fini de m’achever. Bien sûr, Les Misérables, l’unique roman que j’ai emporté, ne me permet pas d’égayer ma soirée.

Heureusement, le lendemain il fait beau. J’endosse mon petit sac, et je pars à l’assaut de ce lac. Pendant toute ma balade, des gamins accourent de je ne sais où et me proposent du maïs grillé que j’accepte pour leur faire plaisir, me demandent de les prendre en photos, ce que je fais bien volontiers, m’invitent dans leurs maisons, ce que je refuse. Je finis par croiser un type qui parle un peu anglais. Il m’emmène dans une sorte de café que je pourrais qualifier d’ethnique: un acacia ombrageux, une baraque en bois et en chaume, quelques Oromos qui picolent et mâchent du khat, une serveuse de quinze ans qui en paraît quarante. Un type un peu plus éduqué que les autres, parlant assez convenablement anglais, ayant fait des études de géologie et cherchant du travail dans la géothermie (une des spécialités de la région, me dit-il), prend le lead de la conversation avec moi, traduisant de temps à autres mes propos et les questions auxquelles ses compagnons me soumettent.

La matinée, puis l’après-midi, s’étalent ainsi; je saute un repas; je me couche; je me réveille à sept heures; je prends un petit-déjeuner rapide; je quitte l’hôtel à huit heures; je marche pendant cinquante minutes jusqu’à la route principale, et de là je m’abrite sous un arbre pour me protéger de la pluie fine qui s’est mise à tomber, attendant qu’un bus passe pour l’intercepter. Un petit garçon m’apporte un tabouret sur lequel je m’assois plus par gratitude pour sa délicate attention que par besoin, et il se met en charge d’arrêter pour moi toutes les voitures qui passent. Après moins de dix minutes, un camion s’arrête et me prend en stop. En montant dans la cabine, je me sens comme un gosse de quatre ans dans un manège: c’est la première fois que je monte dans un camion, et je constate que bien posé là-dedans, dominant les autres véhicules, on se sent vraiment le roi de la route. Je m’ébahis du boîtier à huit vitesses, je tremble quand nous doublons d’autres Négus, je frissonne quand nous prenons de l’élan… Mon chauffeur transporte derrière lui deux remorques de fuel depuis Djibouti jusqu’à Dila, ce qui lui prend cinq jours. Il fait l’aller-retour en permanence. Nous faisons une pause à Shashemene, la ville où se sont installés dans les années 1950 des idolâtres du Ras Tafari proclamé Négus Négast (roi des rois) en 1930 sous le nom d’Hailé Selassié et destitué par un coup d’Etat communiste en 1974 alors qu’il est âgé de 85 ans. Nous sommes rejoints par deux types dont un s’avère être le frère de mon chauffeur: je comprends que nous sommes dans sa ville. Nous allons déjeuner ensemble, et à la fin du repas c’est mon chauffeur qui paye, après que lui et les deux autres se sont disputés pour savoir qui règlerait la facture.

Il ne reste maintenant plus qu’une grosse demi-heure pour rejoindre Awasa. Le chauffeur me dépose presque au pied de l’hôtel que je lui ai mentionné. Pour deux fois moins cher que le précédent, j’ai une chambre propre, agréable, dans un hôtel bien situé, bénéficiant d’une bonne connexion Internet. Je passe donc mon après-midi à prendre des nouvelles du monde et de mes proches, à lire, et à travailler sur le présent article.

Awasa: ultime destination

Je décide de commencer tôt mon premier jour à Awasa. Peu après huit heures, je suis en route vers le lac, situé à quelques centaines de mètres de mon hôtel. Sur le front de lac, une longue promenade permet aux piétons de marcher au calme, loin du tumulte de la circulation. Je croise un papa avec qui je discute un moment. Celui-ci me propose de me montrer le chemin pour gravir le mont qui domine la ville. J’accepte sa proposition. Il s’appelle Isaac, il est jardinier, sa femme fait des lessives. Il a trois enfants: une fille de 15 ans, deux garçons de 12 et 10 ans. Le sommet de la colline est un lieu de calme et de prière un peu spécial: ici et là, des groupes épars de confessions diverses chantonnent, crient, montrent leur cul au ciel et tournent leur front vers la Mecque ou Jérusalem, proclament des incantations… L’ambiance est un peu New Age, c’est très curieux. À vrai dire, ça me déplaît assez.

En redescendant la colline, Isaac me propose de prendre le café chez lui, ce que j’accepte bien volontiers. Et le voilà qui s’engage dans la cérémonie du café que j’ai déjà décrite dans un précédent article: les braises, la torréfaction, l’encens, etc. Ça m’ennuie un peu d’assister encore à ça, je sais que je suis parti pour plus d’une heure!

La maison de mon hôte est petite et sale. Je me rappelle alors cette phrase haïtienne: « on ne peut pas vivre ici, et pourtant on y vit. » Ça pourrait être désespérant de voir tant de pauvreté, ça pourrait être triste, et pourtant ça ne l’est pas vraiment. L’homme d’ailleurs me le dit, à sa façon: « Ce qui est difficile, c’est de payer la scolarité des enfants et de payer le loyer. Mais nous avons à manger. Nous avons du travail. Nous sommes heureux. »

C’est assez tard dans l’après-midi que je rentre à mon hôtel, bien décidé à siester un peu. Je rentre à Addis dimanche, puis à Paris lundi. D’ici là, je reste à Awasa. Je dois rendre visite à un Éthiopien qui tient un orphelinat dans la ville et qu’un ami en France m’a recommandé. Ce sera pour moi l’occasion de voir une autre réalité du pays. Je ne sais pas si beaucoup d’enfants sont orphelins ou abandonnés en Éthiopie, mais ce qui est certain, c’est que je vois beaucoup de gamins trainer dans les rues, faisant la manche, vendant des petites choses (chewing gum), cirant les chaussures, ou proposant aux passants de se peser. Pendant ces deux semaines, j’ai perdu un peu de poids… Et ça m’a coûté 1birr de le savoir!

Quatre fillettes du Lac Langano
Le camion qui m’a pris en stop
Pélicans au bord du lac d’Awasa

Vue sur Awasa

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« Ça c’est l’Afrique » – Dire Dawa et Harar

« Ça c’est l’Afrique! », voilà ce que je me suis dit en sortant de l’avion qui venait d’atterrir à Dire Dawa, dans l’est de l’Ethiopie. Un vent chaud et sec venait tout juste de me cueillir et me caressait gentiment la nuque, et après cinq jours dans l’austérité froide et arrosée de la « Nouvelle Fleur » (traduction littérale du nom de la capitale de l’Ethiopie), je me sentais d’une humeur exaltée à l’extrême à l’idée que j’allais passer quelques jours sous ces cieux cléments à transpirer joyeusement, à me prélasser sous la douce violence du soleil africain, à me faire déjeuner le sang par des anophèles femelles gorgées de malaria.

Joies et déconvenues

Quelques taxis attendaient devant l’aéroport. Le premier qui vient à moi me fait entrer dans une vieille Lada (pléonasme) bleue et blanche dont l’odeur et l’aspect de l’habitacle me replongent d’un seul coup dans mes souvenirs d’enfance, lorsque ma grand-mère paternelle, qui habitait dans l’Ariège, venait nous chercher à la gare dans sa 2CV. En quelques minutes le chauffeur me dépose à l’hôtel que je lui ai indiqué: « African Village ». Le décor est charmant mais je suis vite décontenancé par la liste des interdits exposée sur la table de nuit de ma chambre: pas le droit de nettoyer et de repasser son linge dans les chambres (je vais me gêner, tiens…), interdiction aux personnes non mariées de sexes opposés de « stay in the same room » (au moins ils ne sont pas homophobes, mais je comprends donc que je ne peux pas ramener de putes), prohibition absolue de consommer de l’alcool dans l’enceinte de l’établissement, et autres « streng verboten » du même genre. Me revient alors à l’esprit ce qui m’avait semblé un détail que m’avait indiqué Liza (ma logeuse à Addis, qui m’a conseillé cet hôtel) : l’hôtel est tenu par des protestants.

Dans la nuit, une pluie abondante et interminable dérange mon sommeil en me faisant croire que je me suis peut-être réjoui trop vite quant aux jours heureux que j’allais couler à Dire Dawa. Mais au petit matin, plus aucune preuve des excès hydriques des ténèbres passées ne macule la terre ni l’air. Sans carte, muni seulement de quelques informations topographiques glanées ici ou là, je me lance dans l’exploration de la ville. Contrairement à Addis, Dire Dawa est une ville propre et cohérente. De larges allés sont bordées de grands et vastes arbres qui offrent aux piétons leur ombre rafraîchissante. Les rues secondaires sont soigneusement pavées. Je comprends que la ville est en deux parties séparées par un oued qui, curieusement, est totalement asséché. En pleine saison des pluies, j’en suis surpris. À l’est de ce « cours d’eau », c’est la vielle ville, faite de maison basse aux murs colorés (rose, vert et bleu semblent être les couleurs dominantes). À proximité du pont, une intense activité commerciale anime les rues. À l’ouest, la ville moderne datant du début du siècle est construite à partir de la gare (les fameux chemins de fer Djibouto-Éthiopien). À peu près au centre de la ville (d’après mes estimations), une immense et magnifique demeure (un château?) surplombe. Je tente de m’en approcher, en vain: un mur d’enceinte entoure le beau jardin que je n’aperçois que par intermittence.

Sur le chemin du retour de cette première escapade, je m’arrête dans une pharmacie pour acquérir une pommade antimoustique, et je réserve pour le lendemain une chambre dans un ancien hôtel gouvernemental qui dispose d’une piscine. Je déjeune tardivement à mon hôtel protestant, et en fin d’après-midi, je repars à l’assaut de quartiers non encore explorés. Le lumière est superbe, et cette balade dans la fraîcheur du soir qui tombe peu à peu est très agréable. Une pensée qui tourne en boucle dans ma tête la gâche cependant. Tandis que je marche dans les rues, je suis sans cesse dévisagé, interpellé, alpagué. Et cela m’agace. Je voudrais être un touriste discret, invisible, j’ose à peine sortir mon appareil photo de crainte de paraître vulgaire. Et au lieu de cela, je dois subir ces regards, ces « hey, you! » permanents, je dois serrer les paluches des mômes en souriant, je dois regarder droit devant moi quand des couillonauds rigolent, je dois faire mine de ne pas entendre les « money, money, money » insistants… En définitive, je ne supporte plus ces peuples crétins qui ne savent interpeler l’étranger autrement qu’en le nommant toubab, blanc, munju, färendj. J’ai trop entendu ces mots depuis que je voyage. Mon expérience de touriste et même d’immigré ne m’a pas permis de m’y habituer. Certains guides prétendent que les habitants de la région sont les plus accueillants de l’Ethiopie; je crois qu’ils confondent accueillant et pot-de-colle.

Je constate une chose étonnante dans ces rues pleines du jour déclinant: ce sont ces hommes, un peu partout, étalés par terre, complètement hagards, mâchouillant du khat, cette feuille aux vertus hédoniques. Les meilleurs plants de cette drogue (car c’en est une) sont cultivés près d’Harar, et j’avais lu que tous les matins il en arrivait des tonnes sur lesquelles les hommes de Dire Dawa se jetaient dès leur arrivée. Aussi, je m’attendais à voir ces scènes de désolation l’après-midi. Ça fait quand même pitié de voir tous ces types à la ramasse, totalement inefficaces pour quoi que ce soit…

Le lendemain, je rejoins mon nouvel hôtel et profite de la piscine toute la matinée. Peu après midi, il me vient une idée que je m’étonne de n’avoir eu avant: chercher un plan de Dire Dawa sur Internet. Mes intuitions de la veille sur la géographie de la ville sont en grande partie confirmées. Je peux donc repartir explorer la ville, avec cette fois-ci la structure urbaine bien en tête. Je dois notamment repérer la gare routière.

Le soir, deux tables à côté de la mienne, deux prostituées me font de l’œil. C’est tellement facile d’être désirable quand on a de l’argent! L’une est franchement vulgaire; l’autre est assez mignonne. Mais je rentre me coucher seul, je préfère garder mon argent pour d’autres plaisirs. Et puis, il faut dire que la serveuse qui s’est occupée de moi était d’une beauté à couper le souffle. Après l’avoir contemplée pendant toute la soirée, je n’aurais même pas pu me contenter de Scarlett Johansson.

Porte de l’islam en pays chrétien

C’est vers 10 heures le lendemain que je quitte mon hôtel pour me rendre à Harar. Sur le chemin de la gare routière, je crois un minibus dont le contrôleur me demande:
– « Harar?
– Oui.
– Vous pouvez monter!

Chance! Je suis le premier à monter, j’ai donc la meilleure place, devant, à côté du chauffeur. Le chauffeur continue son tour de chauffe en ville avant de se rendre à la gare routière. Entre temps, le bus s’est un peu rempli. Au bout d’une vingtaine de minutes, il comporte suffisamment de passagers pour s’en aller. Je rappelle le concept pour ceux qui ne le connaîtraient pas: les bus ne partent pas à une heure prédéterminée, mais au moment où toutes les places sont occupées.

Le trajet pour Harar dure environ une heure. Il nous fait pénétrer dans les hauts plateaux du Hararghé. La température se rafraîchit légèrement. C’est un peu avant midi que je m’installe dans une chambre un peu sordide d’un hôtel qui a l’avantage d’être bon marché (7€ la nuit) et bien placé: proche de la gare routière, et proche de la porte Choa, à l’ouest de la vieille ville. Immédiatement, je pars me perdre entre ces murailles, dans un dédale de rues minuscules. L’intérieur des murailles ne fait pas plus d’un kilomètre carré, mais cela est suffisant pour s’y perdre. Une adolescente musulmane me demande, dans un anglais assez correct, si je souhaite qu’elle me serve de guide. Je refuse d’abord, mais en la recroisant, quelques minutes plus tard (j’étais revenu sur mes pas je ne sais trop comment), elle réitère sa demande. Habituellement, je n’aime pas trop les guides, parce qu’ils nous montrent ce qu’ils veulent nous montrer et non ce qu’on aimerait voir, mais celle-ci me plait bien, et comme elle a quinze ans je me dis que je pourrais facilement la manipuler. En plus, elle me dit savoir parler « a poti peu » français. Nous convenons donc d’un rendez-vous à 14 heures à la porte Harar. À l’heure dite, elle n’est pas au lieu dit. Je la croise un peu plus loin et un peu plus tard, elle s’est changée et porte maintenant un long foulard rose qui lui sied à merveille, et des chaussures à talon plus efficaces pour séduire que pour marcher. Elle me fait visiter la ville pendant presque quatre heures, sous un cagnard pas possible, et je ris sous cape en la voyant souffrir dans ses chaussures de demoiselle. Aïcha – c’est ainsi qu’elle se nomme – s’avère une excellente guide: débrouillarde, autoritaire, chassant les importuns et les quémandeurs, son anglais est très bon (meilleur que le mien), elle répond à toutes mes questions et se soumet à toutes mes requêtes, et au final, je pense avoir repéré les différents points que je voudrais revoir le lendemain, notamment la maison de Rimbaud qui était fermée à cause de ce que Aïcha me désigne comme étant « the muslim christmas ».

En effet, la ville est en fête: toutes les femmes sont superbement habillées, et je comprends que si Aïcha s’est faite belle, ce n’est pas pour moi! Je n’ose pas sortir mon appareil pour photographier toutes ces étoffes magnifiques. Du moins, je suis refroidi par les quelques essais que j’entreprends et qui font fuir ces dames. Dommage! Je rappelle à ce propos que Harar est une ville un peu à part en Éthiopie. Tandis que le pays s’est construit très tôt autour du christianisme, dès les premiers siècles de celui-ci, Harar est une ville à forte dominante musulmane. C’est même une des principales destinations de pèlerinage de l’islam. On y compte soi-disant 99 mosquées, et 4 églises (dont une catholique). Pour moi, cette ville évoque deux choses:
– Rimbaud, bien sûr. Même si je ne suis pas un grand adepte de ce poète, j’ai toujours été intrigué par ces deux vies en une: poète d’abord, puis aventurier. La maison que l’on présente comme étant la sienne a en fait été construite bien après sa mort. Mais le musée qu’il abrite lui est en partie consacré, et il est vraiment très bien fait. On ne sait toujours pas où Rimbaud a vécu précisément.
– Lorsque j’étais en RCA, j’avais dû enseigner l’histoire de l’Afrique. J’ai en partie oublié les cours que je dispensais alors, mais je me souviens très bien de cet épisode de l’histoire de la Somalie et de l’Ethiopie au cours duquel, au XVIème siècle, un dénommé Ahmed « Gragn » (le gaucher) avait réussi, depuis Harar, à mener le jihad contre les chrétiens du royaume d’Abyssinie. Finalement, après une quinzaine d’année de violente oppression, Gragn avait été tué et son armée repoussée, jusqu’à ce que Harar même soit libérée du sultanat d’Aoussa et devienne indépendante.

Aïcha n’est pas peu fière de me présenter sa ville; elle n’est pas peu fière non plus de ses 200 birr bien gagnés (8€). Je la vois qui fanfaronne avec auprès de ses amis. C’est donc cette ville chargée d’histoire que je contemple, le crépuscule venu, depuis la terrasse de l’hôtel. J’en profite pour prendre quelques clichés. À cette heure-ci, la lumière est très belle.

Le lendemain, j’entreprends de longer les murailles extérieures. La route pavée qui la longe est charmante. Je constate qu’en dehors des cinq portes d’entrée, la muraille est percée ici ou là de nombreuses ouvertures. À la porte Fallana, au nord, je rentre dans ce qu’on appelle ici le « Jugal » (c’est-à-dire l’intérieur des enceintes) pour me rendre à la Maison de Rimbaud, enfin ouverte. C’est une grande et belle maison, à l’intérieur de laquelle sont exposées de nombreuses photographies de Harar datant de la fin du XIXe ou du début du XXe; certaines sont de Rimbaud, certaines autres de Monfreid.

Je vous écris maintenant du « Fresh touch » où je me régale d’une excellente bière pression locale et d’une vraie pizza « quatre saisons » (les ingrédients de chaque saison occupent un quart différent de la pizza). Ce soir, j’ai de nouveau rendez-vous avec Aïcha pour aller observer les hyènes qui rôdent la nuit autour des murailles de Harar. On m’a garanti des frissons… Ce sera parfait pour terminer cette étape de mon séjour.

(PS: les photos sont de très mauvaise qualité pour des raisons techniques qui me dépassent.)

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Une rue de Dire Dawa
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La porte Sud d’Harar
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Une rue du « jugal » d’Harar
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La (fausse) Maison de Rimbaud
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Trouée dans la muraille, à Harar
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Porte Est d’Harar
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Vue sur les toits d’Harar
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Aïcha, ma guide, me montre un chameau

Cinq jours à Addis Abeba

Jour 1

Pourtant, c’était mal parti. Dans l’avion, mes boules Quiès, mon casque antibruit et mon somnifère n’ont pas eu raison des trois gamines de 18 mois à 4 ans et demi qui étaient assises dans la rangée d’à côté et qui ont passé la nuit à pleurer ou à couiner, sans que leurs parents soient capables de les calmer un peu, parents qui – en plus – m’avaient obligé à changer de place pour cause de regroupement familial. Les célibataires responsables (qui s’organisent et qui, dans le cas présent, réservent leur place à l’avance) payent toujours pour les parents irresponsables (qui doivent savoir qu’ils seront de toute façon prioritaires). Donc: nuits blanches et petits agacements.

Arrivé à Addis, les formalités administratives sont très rapides. Mais le numéro du taxi dont je dispose est erroné. Des Éthiopiens m’expliquent que ce n’est pas un numéro éthiopien. Me voilà bien, tiens, à errer dans le hall de l’aéroport en me demandant comment je vais retrouver la maison où je suis censé loger. Je pense bien sûr à prendre un taxi lambda, mais une adresse précise, je n’ai jamais vu ça en Afrique, et je n’en ai donc pas.

Mais c’est ici que la première impression des Éthiopiens se forge. Comme je dois avoir l’air un peu paumé, plusieurs d’entre eux viennent vers moi, très simplement et visiblement sans arrière-pensée, pour tenter de m’aider. En vain, à vrai dire, car ils ne peuvent ni trouver le numéro qu’il me manque, ni connaître l’adresse de ma logeuse. J’entrevois alors une solution: il faut que je trouve une connexion internet dans cette fichue aérogare. Apercevant ce qui semble être un bureau de tourisme, je m’en approche et pose ma requête. Les types me font entrer, me font asseoir à l’un de leurs bureaux, et me voici, devant l’ordinateur à envoyer un mail à Liza (la logeuse) pour lui expliquer mon problème. Je termine en écrivant que j’attends Salomon (le chauffeur) et en lui indiquant mon numéro français. Environ quinze minutes plus tard, elle m’appelle pour me dire que Salomon m’attend dehors.

La conclusion de ce premier incident, c’est que d’emblée je me suis fait une opinion très positive des Éthiopiens: courtois et affables. On dit pourtant le contraire: hautains et arrogants. Pour l’instant, je n’en ai pas fait l’expérience. J’avais l’habitude de la gentillesse intéressée des Centrafricains; ici, personne ne m’a encore rien demandé en retour du service rendu, même si je me suis probablement déjà fait arnaquer en payant un taxi ou d’autres choses.

La maison où je loge est mignonne et Liza fort sympathique. C’est une anthropologue slovène qui travaille dans une ONG après avoir été enseignante et chercheuse à l’université d’Addis.

Une fois qu’elle m’ait présenté la maison, le quartier et le plan de la ville, elle part travailler, et moi explorer les lieux. Selon moi, la découverte d’une ville doit d’abord se faire avec les pieds. Le paysage passant forcément plus lentement, on peut prendre le temps de mesurer les distances, de repérer les rues, de s’approprier la structure de la ville, de contempler les jardins, les routes, les bâtiments.

C’est pourquoi je m’engage d’une extrémité de la ville à l’autre, tantôt à l’instinct, tantôt en jetant un œil sur le plan très précis dont je dispose. Je me retrouve au bout de deux heures dans le quartier de « la gare » (en français dans le texte), point de départ du « Chemin de fer Djibouto-Ethiopien » (en français dans le texte, hors-service depuis quelques années). Dans ce quartier vit une femme à qui je dois remettre un colis. Celle-ci m’accueille avec sa fille dans une minuscule maison située dans un genre de bidonville, avec latrines publiques en extérieur que j’ai la joie de tester à deux reprises. Elle me sert à manger du wat (sauce pimentée, servie ici avec de la viande) que l’on prend avec l’injera (genre de pain sans levain, galette de mil). C’est vraiment très bon, mais très épicé, et surtout les deux femmes insistent pour que je mange, que je mange, que je mange… Elles me resservent sans cesse, passant outre mes objections… À la fin je n’en peux vraiment plus. Je ne peux pas terminer mon assiette… Je vous jure, c’est physiquement impossible. Je reste finalement quatre heures chez elles, à parler en français de choses et d’autres, avec la télé allumée qui passe des films américains de qualité inégale. Puis le neveu arrive. Il me fait faire un tour du quartier (le club des cheminots, l’église…) et me raccompagne chez moi en taxi, vers 18 heures, avant que la nuit ne tombe.

Jour 2

Je me lève vers 8h30, fait ma lessive, prépare mon petit-déjeuner, bouquine un peu, écrit quelques lignes, et pars faire des courses. Dans un pays dont on ne connait rien, acheter trois tomates et un pain relève de l’exploit, car cela oblige à s’exprimer, à échanger avec les habitants, il faut compter ses sous, trouver les bonnes boutiques… Et puis, petit exploit après petit exploit, on peut commencer à être à l’aise.

Et justement, deuxième exploit à accomplir dans ma journée: prendre un bus pour me rendre à « Piazza », le quartier vaguement central, où est situé notamment l’hôtel de ville. Le réseau de bus est assez bien fichu, mais les directions indiquées au-dessus des véhicules sont écrites en lettres amhariques, donc incompréhensibles pour moi. Mais Liza m’a expliqué la logique du réseau, et ma marche de la veille m’a permis de repérer quelques lieux. Je me retrouve donc à Piazza assez vite, sans avoir à effectuer de changements. Le bus est en fait un minibus dans lequel on peut s’entasser à presque 20. Comme il ne fait pas chaud, ce n’est pas aussi gênant que dans la plupart des pays d’Afrique noire auxquels je suis habitué. Le contrôleur me parle de Jésus-Christ qui est le sauveur du monde dans un anglais approximatif que je lui rends bien volontiers, en roulant les r et en détachant chaque syllabe comme lui.

Je reste environ une heure à Piazza avec la ferme intention d’y retourner le lendemain. Puis je me rends à quatre kilomètres de là, dans un quartier bien nommé « Harat kilo », ce qui signifie « quatre kilomètres » (le kilomètre zéro étant Piazza). De là je marche jusqu’à « Amist kilo » (cinq kilomètres) où je visite le musée national d’Ethiopie. Celui-ci est un peu délabré, mal organisé, manquant d’explications, mais on y trouve son compte tout de même (41 centimes d’euros), notamment parce que s’y contemple la très célèbre et merveilleuse (comme l’appellent les Éthiopiens) Lucy, ou du moins une réplique de son squelette où apparaissent de couleurs différentes les pièces retrouvées et celles reconstituées.

Après cela, je reprends ma route jusqu’à « Sidis kilo » (six kilomètres) dans le but de me taper un autre musée, celui d’Ethnologie, sis dans la magnifique université d’Addis Abeba. Mais il est fermé. Je rebrousse chemin jusqu’à Harat kilo puis jusque chez moi. Je refais quelques courses pour mon dîner et mon petit-déjeuner, et je termine ma journée à lire, vous écrire et préparer la suite de mon voyage. Je songe un instant à sortir boire une bière dans le quartier, mais mes paupières s’abattent sur mes globes oculaires. Je ne peux rien faire d’autre que me coucher, après m’être assuré que le radiateur est bien allumé.

Jour 3

Mimi, la bonne de Liza, arrive vers 10 heures. Nous avons convenu la veille qu’elle me préparerait le café aujourd’hui avec tout le cérémonial traditionnel. Car ici, il existe une cérémonie du café. En voici les étapes, telles que je les ai observées (il se peut que certains gestes importants m’aient échappé et qu’au contraire d’autres insignifiants prennent ici une importance qu’ils n’ont pas) :
– Tout d’abord, faire des braises;
– Ensuite, une fois les braises chaudes, faire griller dans une mini poêle les fèves de café en ne cessant pas de les remuer (c’est ce qu’on appelle, je crois, la torréfaction);
– Au bout d’une demi heure environ, quand les fèves sont parfaitement grillées, il faut les moudre, à l’aide d’un pilon (éventuellement avec un mixeur électrique);
– Pendant ce temps-là, on commence à faire brûler de l’encens sur un autre brasero plus petit; on fait également chauffer de l’eau;
– Lorsque le café est moulu, on le transvase dans la cafetière remplie d’eau et on attend que le mélange atteigne la quasi ébullition.
– C’est prêt! On boit, en n’oubliant pas de remettre régulièrement de l’encens sur les braises.

Je ne sais pas bien à quoi correspond tout ce cérémonial, je ne l’ai lu nulle part. Pour l’instant, je regarde encore cela avec la même idée que je peux me faire des gens qui aiment faire la vaisselle, qui dorment dans des draps (plutôt que dans une couette), qui aiment passer le balai, ou qui font des recherches dans des encyclopédies papier: bref, des gens qui, selon moi, s’enquiquinent l’existence au nom de la tradition, des habitudes ou de je ne sais quoi d’autre. (Inutile de vouloir répondre à ce paragraphe: il est de pure mauvaise foi.) J’ai lu plus tard qu’il y avait encore une série de traditions autour de ce café, que ce sont toujours les femmes qui le préparent, qu’il faut en accepter au moins trois tasses sous peine de malédiction, que son nom provient probablement de Kaffa – le lieu où il fut créé…

C’est à une heure déjà bien avancée de l’après-midi que je me mets en tête de retourner à Piazza pour manger, et surtout pour acheter mon billet d’avion pour Dire Dawa. Arrivé à Harat Kilo, il m’est impossible de monter dans un autre bus car nous sommes trop nombreux à avoir le même souhait: à chaque minibus qui arrive, c’est une ruée qui se forme, et je ne peux pas faire le poids; j’en suis à peine à demander où se rend ce bus que déjà il est plein. Une seule solution, donc: la marche. À cause de ma crainte de passer pour un touriste, et donc mon refus de trop sortir ma carte, je me paume. C’est un peu exténué que je parviens à trouver l’agence d’Ethiopian Airlines.

Après un repas qui se termine à 16 heures, j’erre dans le quartier avec l’idée de trouver un sac un peu plus grand que ma « banane » qui, en plus d’être craignos, est trop petite pour y fourrer mon iPad. Vaine recherche: je ne retrouve indéfiniment que les mêmes modèles, dans tous les magasins, aux mêmes prix… Comment vivent toutes ces boutiques, à vendre exactement la même chose, les unes à côté des autres? Je me posais déjà la même question en Centrafrique, et j’ai une bribe de réponse: l’original ou l’hurluberlu qui voudrait lancer une nouvelle mode ne prendrait pas seulement le risque de rater son coup, c’est sa vie et celle de sa famille qu’il mettrait en danger. Les pays de précarité ne donnent pas la possibilité de prendre des risques, les enjeux en sont trop importants. Du coup, je me rabats sur le modèle le plus petit que je trouve, sans parvenir à négocier un centime de Birr.

C’est avec moins de difficultés qu’à l’aller que je rentre chez moi.

Jours 4 et 5

C’est de l’hôtel Jupiter que j’envoie cet article, car la connexion Internet est fournie avec les consommations. Un bon Coca (servie dans un magnifique verre à vin, s’il vous plait!) suffit à surfer pendant des heures… C’est le quatrième jour de mon séjour, et la suite est maintenant établie: cet après-midi et demain, je continue à explorer Addis, et lundi je m’envole pour Dire Dawa, deuxième plus grande ville d’Ethiopie où a vécu l’aventurier Henry de Monfreid, dans l’Est. J’y resterai quelques jours, puis je partirai à Harar, ville passionnante dit-on, où a vécu Rimbaud.

Quelles conclusions tirer de ces premiers jours? D’abord, je suis éreinté: marcher, rester souriant, être à l’écoute, discuter en anglais, tenter de prendre quelques rudiments d’amharique, comprendre les choses, tout cela, à 2500 mètres d’altitude, m’épuise… Addis est une ville assez étonnante. Très élevée, elle est aussi composée de nombreuses collines; on passe ainsi son temps à monter et à descendre. Comme beaucoup de villes africaines je pense, elle est moche et polluée. L’architecture et l’urbanisme sont désordonnés, vilains, sans cohérence. Mais on s’y sent assez vite bien, c’est une ville dynamique et joyeuse, avec de vrais musées, une vie culturelle intense entre théâtres, concerts, cinémas et expositions.

J’en aurai plus ou moins fait le tour demain, au terme de ces cinq jours.

Bibliographie:
Exploration guide for Addis Abeba City & the surrounding areas, Office du tourisme et de la culture d’Addis Abeba, 2009. C’est un guide qui traînait chez Liza; il fournit des renseignements intéressants sur la ville et il est bien illustré.
Addis Ababa, City Map, publiée par l’ambassade de l’Allemagne en Ethiopie, 1ère édition 2008. Cette carte à l’échelle 1/20000e est mon outil le plus cher, je ne la quitte pas!

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