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Premier roman

Il était dans les tiroirs depuis longtemps… Le premier roman de votre serviteur est enfin publié depuis le mois de juin 2018. La Saison du confort, tel est son titre. Si je n’ai pas écrit d’articles ici depuis si longtemps, ce n’est pas parce que je vous avais abandonnés, mais parce que mes temps d’écriture étaient consacrés à la rédaction de ce roman. Vous qui me suivez depuis plusieurs années, vous y retrouverez ce que vous appréciez dans ce blog, au service d’une histoire qui j’espère vous plaira : un regard sur l’intelligence de l’autre, la découverte de cultures et de paysages lointains, des aventures et des réflexions sur la nature humaine. Parce que l’autoplagiat n’est pas interdit, vous y trouverez même ici ou là quelques authentiques morceaux de l’Éternel été

« Lorsque les braqueurs sont entrés chez lui, Joseph Meyer était sur la terrasse. Il était allongé sur une chaise longue à bascule. Assise à ses pieds, Merveille avait posé la tête sur ses genoux et tous deux sommeillaient, l’un se berçant du souffle de l’autre. Les hommes dont les visages étaient vaguement cachés par des foulards se sont mis à hurler par saccades – des mots dans une langue douce sortant de bouches sévères – ils ont vociféré, ils ont tiré la main de la petite, va-t’en toi, Dieu merci ils ne voulaient pas de la jeune fille, elle a vacillé, elle hésitait, va-t’en on t’a dit, ils ont regardé Joseph, où est l’argent, il a voulu se déplacer, ils l’ont cogné, montre-nous, il a désigné son portefeuille, il n’y a que ça où est le reste, il n’y a pas de reste, ils ont mis un sac en toile de jute sur la tête de Joseph, puis un casque de moto pour cacher leur forfait aux yeux du monde, ils l’ont forcé à sortir, l’ont placé à l’arrière d’une moto, un homme devant un autre derrière, et puis une autre moto avec les deux autres qui les suivaient… »

La saison du confort s’ouvre ainsi, sur l’enlèvement d’un jeune Français, Joseph Meyer, à Port-au-Prince. L’ambassade de France est prévenue, mais un doute survient sur l’identité réelle du jeune homme. Pour savoir qui il est vraiment, le récit nous fait rencontrer tous ceux qu’il a pu croiser, en France, en Haïti, ou dans divers pays d’Afrique.

Notez par ailleurs que La saison du confort participe aux plumes francophones 2018, un concours d’écriture organisé par Amazon France, avec le parrainage de l’écrivain Bernard Werber. Chers lecteurs, en achetant ce premier roman (en version numérique ou papier), en le notant et en le commentant (positivement, bien sûr) sur Amazon, vous contribuerez peut-être à me faire gagner mon premier prix littéraire, et, quoi qu’il en soit, vous m’encouragerez à poursuivre mon travail d’écriture. Merci à vous ! Bonne lecture !

Le lien vers le roman est ici (France, Suisse et Belgique) ou (Canada) ou encore (États-Unis) et (Royaume-Uni). Bref, sur n’importe quel Amazon dans le monde.

Port-au-Prince, maximum city

Peut-on aimer Port-au-Prince ? Imaginez une gigantesque ville en pente, semblant dégringoler en permanence de ses mornes glissantes vers son étroite plaine côtière qui borde la Mer Caraïbes, une ville labyrinthique, hurlante, grouillante, à la structure désarticulée, où les avenues viennent percer des quartiers aux ruelles tournoyantes, où des millions d’individus déambulent toute la journée au milieu des voitures, des déchets, des arbres épars, des cabanes précaires, des murs qui cachent parfois des villas cossues. Moi qui suis un urbain pur jus exécrant la campagne, j’ai toujours cherché à fuir les tourments de la capitale d’Haïti.

Vue sur Port-au-Prince et Carrefour, août 2014
Vue sur Port-au-Prince et Carrefour, août 2014

Pour la première fois de ma vie, j’y ai toutefois séjourné une semaine complète, pour dispenser une formation sur l’enseignement du français (et l’enseignement en français) à des instituteurs d’une petite école primaire. Jusqu’à cette semaine-là, je n’avais fait que passer à Port-au-Prince : des traversées rapides pour la quitter au plus vite après être arrivé à l’aéroport, des journées harassantes à faire des courses. J’avais pourtant en tête quelques images fantasmagoriques de cette ville, venues des romans de Dany Laferrière (écrivain haïtien vivant à Montréal, académicien depuis quelques mois). Dans Le goût des jeunes filles, La Chair du maître, Le cri des oiseaux fous, il dépeint une Port-au-Prince seventies qui fait rêver mais qui, je crois, n’existe plus : des marches nocturnes et solitaires vaudouisantes, des virées entre copains, des voisines sensuelles et aguicheuses…

Finalement, je ne voyais de Port-au-Prince qu’une capitale bruyante où se mêlent les désagréments de la ville (klaxons, cris, moteurs) et ceux de la campagne (chiens, coqs, cochons) ; une capitale sale parsemée de ce qu’on appelle ici les fatras* – les ordures – et délavée par des coulées de boue puantes ; une capitale invivable où l’on passe son temps dans d’interminables « blokis »* (embouteillages) à inspirer les pots d’échappement et à subir la chaleur qui cogne sur la carlingue de votre véhicule. En y passant en coup de vent, en la subissant contraint par un programme chargé à effectuer en moins de vingt-quatre heures, je ne pouvais que la détester.

Route de Delmas, août 2014
Route de Delmas, août 2014

Pourtant, sans prétendre connaître maintenant Port-au-Prince, je puis dire qu’y avoir passé une semaine pour y travailler et pour y vivre m’a appris à l’aimer. Tous les matins, le directeur de l’école venait me chercher à mon hôtel pour m’emmener à moto jusqu’au lieu de formation. Le trajet durait environ une demi-heure.

Quelle joie intense! Je roule dans les rues en vrac de la ville, je suis heureux, je contemple les baraques défoncées, les routes crevées, les bagnoles partout, les carcasses, l’humidité, la poussière, cette poésie urbaine à la fois tendre et violente, toute cette beauté et toute cette laideur, les peintures sur les murs, les graffitis, une philosophie évocatrice. Sur un bâtiment, je lis : « un enfant qu’on éduque n’est pas un vase qu’on remplit, c’est un feu qu’on embrase ». Et je ne peux m’empêcher de sourire, ébloui par les rayons du soleil déjà haut. Je souris, car je suis où je dois être et qui je dois être : un chat sauvage dans une morne vibrante et surpeuplée.

Je saisis en cet instant ce qui me rend si euphorique en Haïti. C’est une chose que je déplore pourtant, qui m’accable et qui accable les Haïtiens : l’extrême faiblesse de l’Etat. C’est d’ailleurs assez paradoxal comme les dictatures apparaissent souvent dans des pays où l’Etat est impuissant. Les dictateurs appuient alors précisément leur pouvoir sur l’absence de structures administratives efficaces. Aujourd’hui, il est exagéré de dire qu’Haïti est une dictature, nous ne sommes plus sous les Duvalier ou sous Aristide. Mais outre que le spectre de ces personnages – que dis-je ? ces personnages eux-mêmes – menacent encore la démocratie haïtienne, la corruption et l’accaparement du pouvoir par des élites sans scrupule apportent en Haïti un régime autoritaire. Un régime autoritaire combiné à un Etat faible, cela donne un pays sous-développé peuplé d’indigents.

Et la profusion d’ONG n’y fait rien, elle aggrave même la situation, comme je l’évoquais dans un article précédent. Les acteurs de la solidarité sont unanimes sur ce point. Cela ne doit toutefois pas nous détourner de la solidarité, ni du souci de ces hommes et de ces femmes qui souffrent, et dont nous portons une partie de la responsabilité de la souffrance.

Je dis bien une partie, et seulement une partie, car ce serait trop facile de tout mettre sur le dos du capitalisme américain ou de l’impérialisme de l’Occident. Surtout en Haïti, dont l’indépendance en 1804 aurait pu aboutir à une société nouvelle. Seulement, dès le début, avant même le retour de l’emprise de l’Occident sur le pays, les Haïtiens ont reproduit l’esclavage – entre eux. Ils ne connaissaient rien d’autre, dira-t-on. Peut-être, mais aujourd’hui, il serait peut-être temps que les Haïtiens cessent d’ériger des statues de leurs héros, et qu’ils écoutent un peu plus les critiques de certains de leurs historiens : les libérateurs – Louverture, Dessalines, Christophe, Pétion – ne sont-ils pas aussi des irresponsables ambitieux, ayant joué un jeu ambivalent et cruel. « Pères de la patrie », les appelle-t-on. « Père du chaos » serait peut-être plus approprié. Dès le départ, ils ont tout fait rater. Ils se sont fait sacrer rois, empereurs, gouverneurs, ont changé de camps au gré de leurs avantages, ont conçu des constitutions inadaptées, ont tué leurs frères, leurs compagnons, ils se sont aimés, se sont haïs, se sont soutenus, se sont trahis… Haïti ne s’est jamais remise de ce désastre originel, elle en paye encore aujourd’hui les conséquences.

Mais bien sûr, je dis une partie, aussi, car il ne faut pas totalement exonérer de leurs responsabilités les pays du « Nord », les pays riches et dominateurs : soutien de régimes dictatoriaux, imposition d’un modèle de développement qui maintient Haïti dans sa situation de dominée, présence concurrentielle des ONG qui dictent leurs règles sans rien régler elles-mêmes…

Pourquoi, alors, cette absence de l’Etat me rend-elle si euphorique ? Parce que je suis un chat sauvage, et vivre dans un pays sans Etat me rend libre. Peut-être en danger (et encore…), mais libre. Pourquoi croyez-vous qu’autant d’explorateurs, d’humanitaires, de voyageurs, tombent amoureux de ces nations désordonnées ? Parce qu’ils n’y sont pas contrôlés ! On entre très facilement en Haïti, et on s’y égare sans entraves. Et en France, me demanderez-vous, nous ne sommes pas libres ? Si, bien sûr, et peut-être même plus que partout ailleurs, mais en Haïti, nous sommes en présence d’une liberté fondamentale, une vraie liberté si j’ose dire, dans le sens où elle ne vient que de nous-mêmes, elle ne nous est pas octroyée. Ainsi, la liberté haïtienne est une liberté qui nous oblige car il n’y a pas d’Etat pour nous punir si nous en dépassons les limites (et a contrario, l’Etat peut aussi nous punir pour rien).

Car selon moi, la « vraie » liberté comporte deux exigences : accepter l’inconfort, et prendre ses responsabilités. Pour apprécier la liberté qu’offrent Haïti et les pays pauvres, il faut savoir accepter l’inconfort, le climat chaud et humide, les ventilos bousillés, les transports en commun à haut risque, les moustiques qui vous harcèlent, les odeurs de saleté, les bruits de la misère, la menace des enlèvements et des rançons à payer ; sinon, vous devrez subir la paranoïa des expatriés, les voitures blindées, les bodyguards, les maisons surprotégées… De même, la liberté du fauché est inséparable de la responsabilité, car être libre ne consiste pas à faire ce que l’on veut, mais à accomplir son devoir très simplement, à agir en homme honnête. La liberté est paradoxalement la question morale la plus exigente ; sinon, vous ne serez qu’un oppresseur, un colon, un conquérant, un détraqué. Je pense bien sûr à des événements récents tels que l’instauration de l’Etat Islamique en Irak, qui n’aurait pu avoir lieu dans un pays où l’Etat n’était pas totalement défaillant, voire illégitime ; mais je pense aussi à des parcours individuels qu’on observe souvent en Afrique ou dans les pays pauvres : ces « riches » (blancs ou noirs) qui se laissent aller dans les délices des Tropiques, qui méprisent leur personnel, qui pratiquent le tourisme sexuel, qui pillent et détournent les richesses du pays. Heureusement bien sûr, ces pays ne sont pas que violence et corruption, contrairement à ce qu’on croit parfois. Je pense en particulier à Haïti, qui souffre encore d’une très mauvaise image.

Dans la guesthouse où je loge, je suis amusé de croiser régulièrement des groupes de très jeunes évangélistes américains. Je ne sais pas ce qu’ils font précisément : je n’ai toujours vu ces adolescents blancs que dans les hôtels ou à l’aéroport, mais jamais sur le terrain, où ils doivent pourtant passer la majeure partie de leur séjour. Ce qui m’amuse (et me déçoit en même temps), c’est qu’en France on me prend souvent pour un trompe-la-mort, à me rendre aussi souvent en Haïti. Lorsque j’ai proposé à ma direction, voici quelques mois, d’y emmener des élèves, j’ai été regardé comme un irresponsable. Et là, dans Port-au-Prince, des grappes de blancs-becs se promènent, t-shirt I love Jesus sur le dos, pas stressés pour deux sous, avec un accompagnateur à peine plus âgé qu’eux. Moi qui connais Haïti, je sais qu’ils ne risquent pas grand-chose pourvu qu’ils ne soient pas imprudents, mais je songe que bien de mes amis, parents et collègues s’en étonneraient. (NB: j’ai rédigé un petit article sur l’évangélisation en Haïti, n’hésitez pas à le consulter en cliquant ici.)

Delmas 33, août 2014
Delmas 33, août 2014

Plus de quatre ans après le séisme qui a traumatisé le pays, Port-au-Prince s’est déjà bien reconstruite, et les sans-abris ne sont plus qu‘une grosse centaine de milliers. Ce chiffre peut sembler important, mais il correspond à peu près au nombre de marginaux que comptait déjà la ville avant la catastrophe. Reste à savoir, surtout, comment sont relogés les autres (je crois que ce n’est pas toujours génial). Je ne dispose pas des chiffres officiels, mais je ne peux que constater que les rues sont maintenant presque toutes bien déblayées, que seuls quelques gravats (parfois imposants) subsistent, que des quartiers entiers sont en chantier, que des programmes de logement ou de bâtiments publics sont en cours.

En cette semaine à Port-au-Prince, j’ai enfin pu arpenter les rues fourmillantes sans avoir devant moi un emploi du temps oppressant. Le matin, je me rendais à l’école où je devais dispenser ma formation ; l’après-midi, je prenais le temps d’effectuer un programme libre et détendu. Je l’ai déjà écrit, une ville, selon moi, se découvre d’abord avec les pieds. Mais en cette semaine du mois d’août, la chaleur était vraiment trop intense à Port-au-Prince, et j’ai limité au maximum mes déplacements pédestres.

Du reste, Port-au-Prince n’est pas une ville qui se visite : peu de musées, de grandes avenues genre « Perspective Nevski », de bâtiments historiques, de parcs luxuriants. Il n’y a même pas de plage à Port-au-Prince, ce qui est tout de même un comble pour une ville de bord de mer (et pas n’importe quelle mer !). Port-au-Prince est avant tout une ville qui se vit. Dès qu’on quitte les grandes artères oppressantes, on se retrouve facilement dans des quartiers calmes, ombragés. Culturellement, Port-au-Prince bouillonne : des salles de concert, des expositions, des peintres de rues, des artisans, des associations diverses, des éditeurs…

Port-au-Prince, quartier de Delmas 33, août 2014
Quartier de Delmas 33, août 2014

Les transports en commun sont eux aussi une excellente façon de faire connaissance avec une culture : on y apprend beaucoup sur un peuple, ses modes de vie, ses modes de pensée. Comme souvent dans ces villes de pays très pauvres, il est difficile de s’y retrouver dans la complexité des réseaux de transport. En apparence, des dizaines de milliers de cars, de minibus, de « tap-tap »*, de taxis, de motos parcourent la ville sans qu’on puisse déterminer leur trajet. De fait, aucun arrêt de bus ne borde le moindre trottoir, les véhicules ne sont pas munis de panneaux indiquant leur destination, ni même le numéro d’une quelconque ligne. Mais ces lignes existent bien ! Pour les connaître, il faut… les connaître ! Il faut savoir, par exemple, qu’il y a une ligne qui va de Delmas à Portail-Léogane en passant par Nazon, et que sur cette ligne, la course est de 20 gourdes (environ 30 centimes d’euro). Depuis le trottoir, il suffit d’annoncer au chauffeur votre destination pour que celui-ci vous confirme ou non qu’il s’y rend bien.

Dans ces transports en commun, l’ambiance est souvent conviviale : les passagers conversent entre eux comme s’ils se connaissaient déjà, ils s’envoient du « mon cher » et du « chéri-doudou », ils rigolent, s’invectivent, débattent, se lancent des vannes… On me demande ce que je fais ici, si je cherche une femme, on me félicite de mon créole « parfait » (les Haïtiens n’ont pas peur d’exagérer), on envie ma chemise multipoches, on se moque de mon chapeau de blanc, on me fait remarquer que je transpire, on touche mes cheveux « soie » et on s’étonne de ma peau tachée de grains de beauté. Dans le bus Port-au-Prince / Léogane, une grosse dame nous vend sa camelote pendant tout le trajet (soit près de deux heures) : des sirops qui soignent de tout (paludisme, typhoïde, règles douloureuses, érections défaillantes), des savons anti-choléra, des gâteaux doux et sucrés… Elle répond aux passagers sceptiques qu’elle fait le trajet tous les jours depuis des années et que personne ne lui a jamais reproché de lui avoir vendu des produits inefficaces ; les passagers sceptiques se laissent finalement convaincre par l’argument massue de la vendeuse :
– Tu verras, doudou, avec ça ton pénis sera bien raide ! Et oui, mon cher, nous les femmes on aime que le pénis soit dur, nous aussi on a besoin de prendre plaisir ! Pense à ta femme, un peu !

Comme je ne prenais rien de tous ces produits, un passager m’a demandé :
– Et, blanc*, tu n’achètes rien ? Tu n’as pas d’argent ?
– Si, j’ai de l’argent, mais je n’ai aucun problème pour le moment : ni chikungunya, ni malaria, ni choléra, ni pénis mou.
– Woï* ! Mezanmi* ! Ce blanc parle parfaitement le créole !

Port-au-Prince, quartier Bourdon, août 2014
Port-au-Prince, quartier Bourdon, août 2014

Vocabulaire :

*Fatra : ordures. Le ramassage des ordures est un défi important à relever en Haïti. De nombreuses ordures jonchent les rues des villes et des villages, en particulier là où sont écrites les indications du type « ne jetez pas vos fatras ici. » Ici ou là, des tas d’ordures semblent désigner une décharge improvisée.

*Les blokis, interminables en Haïti, désignent les embouteillages qui, effectivement bloquent des centaines de milliers de personnes chaque jour ! Ce mot vient de « blocus ».

* Un tap-tap est une voiture de transport collectif. Se traduit par « trafic » ou « taxi-brousse » dans pas mal de pays africains. En Haïti, ils servent généralement pour le transport intra-urbain ; le transport interurbain, lui, est plutôt assuré par des bus ou des minibus. Les tap-tap sont magnifiquement décorés, avec des œuvres peintes et sculptées en fer forgé.

* Se faire appeler blanc en Haïti est très fréquent. Ce n’est pas un manque de respect, au contraire. C’est une façon de dire Monsieur à un étranger. Car « blanc » signifie « étranger », même si vous êtes Congolais. Souvent, quand je fais la remarque que je ne m’appelle pas Blanc, ou me rétorque : « mais je ne connais pas votre nom. »

* Woï ! est une interjection qui exprime un sentiment entre le « Waouh » et le « Aïe ».

* Mezanmi ! se traduit littéralement par « mes amis ! » ; c’est une interjection qui exprime l’étonnement ou, plus souvent, un très fort désappointement.

Bibliographie :

J’ai évoqué les romans de Dany Laferrière (de l’Académie française). Je redonne les titres dont les récits se déroulent, au moins en partie, à Port-au-Prince :
Le goût des jeunes filles
La chair du maître
Le cri des oiseaux fous
Pays sans chapeau
L’énigme du retour
Tout bouge autour de moi

Je dois le titre de cet article à une exposition à laquelle je me suis rendu en 2007, qui avait pour titre « Bombay maximum city ». Elle se déroulait à Lille, dans le cadre de « Lille 3000 ». Une sculpture en particulier m’avait interpellé, et j’ai pensé à cette œuvre en déambulant dans Port-au-Prince : « Dream a wish, wish a dream » de Hema Upadhyay.
L’exposition était elle-même inspirée du roman (que je n’ai pas lu) :
– Suketu MEHTA, Maximum City: Bombay Lost and Found, (traduit en français Bombay Maximum City), 2004

Il n’y a pas d’aventure (?)

« Pour que l’événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu’on se mette à la raconter. C’est ce qui dupe les gens : un homme, c’est toujours un conteur d’histoires, il vit entouré de ses histoires et des histoires d’autrui, il voit tout ce qui lui arrive à travers elles ; et il cherche à vivre sa vie comme s’il la racontait. Mais il faut choisir : vivre ou raconter. […] Quant on vit, il n’arrive rien. Les décors changent, les gens entrent et sortent, voilà tout. […] Par moments – rarement – on fait le point […]. Après ça, le défilé recommence, on se remet à faire l’addition des heures et des jours. Lundi, mardi, mercredi. Avril, mai, juin. 1924, 1925, 1926. Ça, c’est vivre. »

Quand j’ai lu ce texte dans le roman de Sartre, La Nausée, paru en 1938, je me suis senti en plein accord avec lui. Je vivais alors dans une petite ville de Centrafrique – Sibut « la Captivante », tel était son nom. À cette époque, ma vie était faite d’histoires de serpents, de marigots, de typhoïde, de latrines dégueulasses, de rebelles en brousse, de poussière et de chaleur, d’éléphants, de Pygmées, de Gbaya, de Bandas, de Yakomas et de Mandja, de manioc, de chauves-souris insomniaques, d’enfants cradingues, de latérite, de caïmans, de 4×4. Mais ce qui avait pu me sembler extraordinaire dans les premières semaines, et que mes proches restés en France continuaient probablement à considérer comme aventureux, était devenu ma vie, donc tout à fait banal. J’étais prof, voilà tout. Que ce fût dans la brousse centrafricaine ne changeait finalement pas grand-chose.

J’avais d’ailleurs rédigé un article dans lequel je faisais référence à cet extrait de La Nausée, et à cette expression « il n’y a pas d’aventure ». Je l’avais surtout écrit parce que je voulais avoir des nouvelles des uns et des autres, et que je réfutais les arguments qui disaient « mais tout cela doit te sembler terriblement sans intérêt à côté de tout ce que tu vis ».

Voici ce que j’écrivais alors: « Bien sûr, je peux me dire, quand je pars acheter un bœuf, quand je fais cours à ces petits noirs qui n’ont rien – et à ceux qui sont fils de ministres – , quand je marche dans ces petits villages où des gamins courent à cul nu en faisant tourner une roue avec un bâton, quand je roule en 4×4 sur des pistes boueuses où peuvent à chaque virage nous attendre des bandits qui nous dépouilleront, quand je mange de l’antilope avec du manioc, bien sûr, dans ces moments-là, je peux croire que je vis une aventure. En réalité, ces événements ordinaires, ces instants bourrés de banalité, ces petites heures de la vie quotidienne ne deviennent des aventures que lorsque je les raconte. Je me dis « quelle aventure ! ». Il arrive parfois que dans l’instant, je sente l’aventure ; alors je sors l’appareil photo (ou je regrette de ne pouvoir le sortir), je me précipite sur un carnet, un bout de feuille, un ordinateur pour le raconter. Je fixe ma mémoire, je veux me rappeler de cela. Mais vivre l’aventure dans l’instant, la sentir comme telle, la nommer ainsi au moment où elle se produit, c’est, je crois, se forger artificiellement des souvenirs. »

La vérité, c’est qu’au bout d’un moment je m’étais doucement ennuyé et que la quantité phénoménale de travail qui m’accablait ne suffisait pas à noyer ma neurasthénie. Quand on croit vivre une aventure, on traverse des lieux où des gens, eux, vivent leur banal quotidien, on s’extasie devant des personnes qui vivent leur vie, on prend peur en photographiant des combats de rue quand des pauvres hères tentent de traverser la rue pour faire leurs courses. C’est exactement ce que j’ai fini par ressentir au bout de quelques mois en Centrafrique: ce qui avait pu me sembler exceptionnel au début n’était plus qu’une vie ronronnante et pépère, à couler des jours tranquilles, dispensant mes cours, prenant des repas répétitifs, sortant un peu en ville de temps à autre, allant à la messe le dimanche, profitant de mes vacances pour rendre visite à mes amis français.

En février dernier, je me suis rendu en Haïti pour la quatrième fois depuis 2006. J’y ai rejoint Alix, une amie qui y était déjà depuis plus d’un mois et qui devait encore y rester quelques semaines après mon retour. Tandis que nous allions de Léogane aux Verrettes, nous sommes passés par Port-au-Prince, ce qui est le trajet normal, et même obligatoire. Mais, à un moment, j’ai eu une intuition étrange: bien que le trajet que nous empruntions ne fût pas celui auquel j’étais habitué (première bizarrerie), les rues que j’observais me semblaient familières, comme si je les avais déjà vues ou traversées (deuxième bizarrerie). En fait, je savais: ces rues, je les avais vues à la télévision, dans des reportages sur Haïti. Alors je demandai au chauffeur:
– Comment s’appelle ce quartier que nous traversons?
– Cité Soleil, me répondit-il.

« Cité Soleil »: ce nom fait peut-être rêver, mais c’est en fait le quartier le plus dangereux de Port-au-Prince, c’est là que s’y concentrent toute la pègre de la ville, toute la misère, tous les dangers. Les braquages, les viols, les vols, les passages à tabac n’y sont pas rares. C’est du moins ce qu’on raconte. C’est ce que nous montrent ces reportages que j’ai vus à la télévision. Habituellement, nous contournons donc ce quartier, même si cela nous fait perdre plus d’une heure de route.

Alix et moi eûmes une conversation sur ce trajet que nous effectuions, songeant qu’il était assez facile de transformer un événement banal en une aventure. Nous traversions Cité Soleil: nous pouvions en faire quelque chose d’extraordinaire, alors qu’il ne se passait rien. Nous étions dans la voiture, nous roulions, les gens au-dehors faisaient leurs petites affaires, et voilà. Ce qui était sûr, c’est que je ne regrettais pas ce raccourci: nous évitions tous les bouchons de Port-au-Prince!

Traverser Cité Soleil, ou d’une façon générale se rendre en Haïti, est encore considéré par beaucoup comme une folie. Quand je parle d’Haïti, on me répond souvent : criminalité, violence, enlèvements, Chimères et Tontons Macoute… Il suffit même de lire les comptes-rendus du ministère des Affaire Étrangères pour s’en faire une idée. C’est à frémir d’angoisse! Pourtant, je n’ai jamais senti – pas un seul instant – la moindre insécurité dans ce pays. Je ne nie pas les faits relevés par la presse, ni la pauvreté de ce peuple, ni la situation pitoyable des enfants laissés à l’abandon en masse. Et je ne me promène pas bagues aux doigts et chaînes au cou dans Cité Soleil, Canaan ou Martissant, et encore moins la nuit! Mais vous ne me verrez jamais non plus à Villiers-le-Bel ou Montfermeil. Quand une bande de jeunes a racketté une rame de train l’année dernière, ce n’était pas à Port-au-Prince, ni même d’ailleurs dans une banlieue particulièrement chaude de la banlieue parisienne. Les tortures d’Ilan Halimi, ce n’était pas à Bagdad, la tentative de viol et la réussite de meurtre de la jeune Anne-Lorraine, ce n’était pas à Bogotá ! Chez moi, le patron d’un magasin de vêtements s’est fait tirer dessus il y a quelques années, un autre a été assassiné dans une commune voisine… En France, y compris dans les banlieues « froides » ou dans les quartiers pauvres et sans histoire, on multiplie les digicodes, interphones et portes blindées depuis une vingtaine d’années… Ce n’est pas moins inquiétant que ces villas surprotégées des hauteurs de Port-au-Prince !

Récemment, j’étais en Ethiopie. Le dernier jour de mon voyage, je suis rentré en bus du Sud du pays à Addis Abeba et suis arrivé à une gare routière dont je ne parvenais pas à identifier l’emplacement dans la ville. J’avais lu trop vite les indications des guides, et je me suis retrouvé dans un quartier que je ne connaissais pas, sans aucune idée de sa situation, avec tout mon barda, au milieu d’une faune humaine grouillante et gueulante… Il était 15 heures, j’avais franchement faim, et ma première idée était de vouloir manger, ou à défaut de trouver un taxi pour m’emmener en un lieu déjà repéré. Or, pas la moindre gargote à l’horizon, et pas un seul taxi ne venait me rassurer. Je me suis donc retrouvé à marcher à l’instinct pendant un long moment, avant de comprendre où j’étais tombé : dans « Mercato », le plus grand marché ouvert d’Afrique, où tous les guides conseillent de venir les poches vides. Et là, je rentre dans un état de semi-panique, pour la deuxième fois de ma vie (la première était à l’aéroport de Miami) : la fatigue, la faim, le stress font que mon cerveau ne fonctionne plus normalement, les informations ne me parviennent plus comme il faudrait, je n’arrive pas à me calmer, je tourne en rond, je ne sais plus m’exprimer, je perds peu à peu mes nerfs… J’ai juste une petite voix absurde qui me dit : « ça, il faudra le raconter. » Le raconter, mais pour quoi faire ? En fait d’une aventure, c’est plutôt ce qu’adolescents nous appelions un « plan galère ». Pour nous, affronter un plan galère, c’était vivre l’aventure ! Mais un plan galère tout seul, c’est surtout l’enfer ! Finalement, au bout d’une petite heure d’errance et de stress à tenter d’oublier les regards, les harangues et les bousculades, je trouve un taxi qui me sauve de ce lieu terrible.

Avec le recul, j’accepte tout de même que mon expérience centrafricaine fut une belle aventure. J’admets que mes missions en Haïti sont des aventures plus belles encore. Je reconnais que mes voyages ont parfois des parfums d’aventure. Encore faut-il s’entendre sur cette expression, et ne pas la confondre avec l’exotisme. L’aventure, c’est précisément le contraire de l’exotisme. L’exotisme, c’est la transformation du réel pour le rendre conforme aux clichés que l’on se fait d’une culture : danses traditionnelles, folklores reconstruits, négation de la modernité, accoutrements ridicules. L’aventure balaie ces reconstitutions pour se confronter à certaines laideurs du monde, et pour en voir la beauté dans les choses les plus simples. C’est pour cela que je déteste tant les destinations trop touristiques et que je privilégie au contraire les pays oubliés qui ont pourtant, eux aussi, quelque chose à montrer.

Jean-Claude Guillebaud, grand reporter, écrit : « Au total, la véritable alchimie du voyage tient à ce paradoxe inaugural : si toute pérégrination aventureuse nous conduit d’abord vers l’autre, c’est vers un « autre » compris non pas dans son irréductible différence mais dans sa proximité, et même dans sa proche fraternité. Car, en retour, cet autre vers qui je vais me demande réciproquement d’être moi-même. Pas déguisé… »

Ainsi, la rencontre d’un autre semblable, et non différent, est-elle au cœur de la notion d’aventure. Si Sartre a voulu la dénigrer, c’est d’ailleurs probablement parce qu’il était un gros froussard misanthrope, tout fiérot qu’il fut par la suite de refuser le Nobel, mais prompt à recevoir les honneurs de l’URSS et de Cuba. Probablement faut-il distinguer les aventuriers amateurs (dont je fais peut-être partie) qui se font un peu peur, prennent un peu froid, et souffrent un peu de la faim pour se sentir pleinement hommes, des vrais aventuriers, des Aguirre et des Cortès, des Lawrence d’Arabie et des Cecil de Rhodésie, des Rimbaud et des Monfreid, des Kouchner et des Chaliand, qui ont cela dans la peau et dans l’âme, qui ont pris des risques, parfois les armes, au Nouveau Monde, en Syrie, au Zimbabwe, en Abyssinie, en Afghanistan, en Érythrée, en Bosnie ou en Guinée. À cette typologie de l’aventurier faut-il ajouter les imposteurs, ceux qui se mettent en scène pour pouvoir parader sur les plateaux de télévision en chemise blanche?

L’aventure, à des degrés divers, on pourrait dire que c’est le fait de casser son quotidien, de faire violence à ses modes de pensée, c’est aller contre ses habitudes et ses instincts, c’est se mettre en danger, d’une façon ou d’une autre (pas forcément en danger de mort!), c’est, comme l’écrit Jean-Christophe Rufin, le contraire du principe de précaution, c’est « la volonté de se sentir responsable, c’est-à-dire de n’incriminer personne pour les souffrances, dommages, préjudices que l’on pourrait éventuellement subir, […] c’est être actif et non passif, souverain de sa vie et non sujet implorant du maître tout-puissant que serait la « société » », et c’est aussi – n’en déplût à Sartre – savoir interpréter ce qu’on vit. Une aventure ne me semble complète que si elle se joue à la fois dans l’action et dans la pensée. C’est d’ailleurs un peu le sens des deux catégories de ce blog: « chez moi » / « chez eux ». Lorsque je suis chez eux, c’est-à-dire chez les autres, je vis l’aventure, elle m’exalte et me fait vivre. Et lorsque je suis chez moi, je continue de penser, je fais le point, je me projette. La pratique sans théorie est aveugle, purement pragmatique et sans fondement. Ceux qui se vantent d’être toujours sur le terrain et jamais dans leur bureau sont à plaindre: ils ne peuvent pas prendre de bonnes décisions, n’ont aucun recul sur leurs actes, et ne sont jamais disponibles, ils n’ont pas le cœur véritablement ouvert à la rencontre avec l’autre. J’ai connu un évêque qui n’était jamais à son bureau. Résultat: on ne savait jamais où le trouver, et il ne prenait jamais le temps de réfléchir, de se poser calmement les bonnes questions; ses décisions et ses remarques étaient pleines de ce trop-plein d’action.

Je réfute donc totalement Sartre, pour qui l’alternative vivre/raconter est exclusive. Son erreur est en fait de penser que l’aventure doit être pleine d’éclat, sans ennui, sans temps mort. Mais les soldats s’ennuient dans leurs casernes; il n’y a pas plus pénible et barbant qu’un long trajet dans un minibus bondé en Afrique; chier presque en public dans des latrines immondes et puantes n’a rien de glorieux; la traversée de l’Atlantique par Christophe Colomb n’était pas exaltante; se farcir des pavés de la littérature pour tromper l’ennui ou attendre que la pluie cesse manque de superbe. Mais au final: la guerre, des rencontres, des réflexions sur la faiblesse et le ridicule humains, des grandes découvertes, des plongées dans des univers riches de nouveautés et de mystères.

Voici comment Patrice Franceschi présente la collection « Points Aventure » qu’il dirige aux Editions Points : « Il y a 2500 ans, Pindare disait : « N’aspire pas à l’existence éternelle mais épuise le champ du possible. » […] Vingt-cinq siècles plus tard, l’énergie vitale de Pindare ne serait-elle pas un remède au désenchantement de nos sociétés de plus en plus formatées et encadrées ? Et l’esprit d’aventure l’un des derniers espaces de liberté où il serait encore possible de respirer à son aise, d’agir et de penser par soi-même ? C’est sans doute ce que nous disent les livres qui, associant aventure et littérature, tentent de transformer l’expérience en conscience. »

Pour moi, le modèle type et fantasmé de l’aventurier, c’est Indiana Jones : un intellectuel, un professeur un peu austère, un puits de culture, un trompe-la-mort, un homme d’action. Quand je voyage, je suis sans doute un peu ridicule avec mon chapeau d’aventurier, mais c’est ainsi, j’y tiens: on a tous nos modèles, et je me plais à ressembler à cet archéologue casse-cou, à défaut de l’égaler.

Bibliographie :

Si vous tenez vraiment à vous farcir ce pensum déprimant, ce traité de misanthropie, ce monument de mauvaise foi, je vous en donne les références :
– SARTRE Jean-Paul, La Nausée, Gallimard, 1938, Folio, 1972

Toutes les citations, en dehors de celle de Sartre, sont tirées du premier livre publié dans la toute récente collection « Points Aventure ». Ce livre est un manifeste écrit par plusieurs figures de « l’aventure » française : Rufin, Guillebaud, Chaliand, Tesson, Franceschi… Je l’ai lu tandis que j’étais en train de terminer cet article, et il m’a semblé bon de venir l’abreuver des réflexions soulevées par lui :
– Sous la direction de FRANCESCHI Patrice, L’Aventure pour quoi faire ?, Editions Points, 2013.

Filmographie :

Pourquoi ne pas vous replonger dans la quadrilogie d’Indiana Jones, réalisée par Steven Spielberg ?
– Les Aventuriers de l’Arche perdue, 1981
– Indiana Jones et le temple maudit, 1984
– Indiana Jones et la dernière croisade, 1989
– Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, 2008