L’Ethiopie, berceau de l’humanité, tel est le lieu commun qui m’a fait revenir dans ce beau pays dont j’avais visité l’est et le sud en août 2013. L’Ethiopie est la terre qui vit mourir le premier « homme », Lucy ; c’est une vieille civilisation antique puisant ses mythes fondateurs dans l’union du roi Salomon et de la reine de Saba ; c’est là que se perd l’Arche d’Alliance ; c’est de là que provient originairement le café, 2ème produit du commerce mondiale aujourd’hui ; c’est l’ancienne Abyssinie et ses chrétiens coptes, ses monastères, ses églises troglodytes ; c’est le pays qui fascina tant Rimbaud et Monfreid ; ce sont ces Négus qui se succèdent, ces rois des rois, tels Ménélik ou Hailé Sélassié alias Rastafari ; ce sont des paysages qui nous rappellent les premiers temps de la Terre. J’avais déjà raconté mon premier voyage à Addis Abeba, Harar puis dans la vallée du Rift. Déjà alors j’évoquais mon excitation à visiter ce pays, terre de légendes soigneusement entretenues.
Même si la réalité est toujours en-dessous de nos fantasmes, je ne fus pas déçu de ce deuxième séjour, dans le Nord cette fois-ci. Le parcours que j’ai effectué en février 2015 – avec mon père – est communément désigné par les guides comme la « route historique ». Il correspond en effet plus ou moins à l’ancienne Abyssinie, royaume antique, médiéval, moderne, christianisé dès les premiers siècles de notre ère.

C’est à Lalibela que notre voyage a commencé. Lalibela, ce nom sonne comme un chant dans l’histoire de la chrétienté africaine. C’est dans cette petite ville – la nouvelle Jérusalem – que l’on dénombre onze églises hypogées, cas unique au monde : dans la roche, elles ont été creusées sur plusieurs mètres de profondeur. Pour y entrer, il faut d’abord descendre par des galeries et des tunnels tortueux, rejoignant les églises les unes aux autres. Ces églises sont réparties sur deux principaux sites absolument impressionnants. Le troisième site est en fait constitué d’une seule église (« Beta Ghiorghis»), sans doute la plus célèbre, et surtout la plus photogénique car c’est la seule qui ne soit pas protégé ; toutes les autres ont été recouvertes de toits hideux qui sont probablement très efficaces dans leur rôle mais qui bousillent totalement les perspectives et qui – c’est peu de le dire – ne mettent pas en valeur les églises.

La route est égrenée de micro villages ou de fermes isolées. Nous croisons ainsi des gens tout le long de la route. Des êtres beaux et longilignes – hommes, femmes, enfants – cheminent, peut-être d’un village à un autre, vers un puits, un marché, un ami… Heureusement pour eux que la route est peu fréquentée par les véhicules, car nous remuons une poussière impressionnante qui s’échappe en tourbillonnant derrière nous. Parfois, sortant du néant apparaissent des villes sans banlieue, plantées au milieu du reg : Abiy Adi, Adwa, Axoum, puis Shire, Debark, Gondar, Bahar Dar…

Axoum s’avère décevante. Il est difficile de s’imaginer que sur le même site se dressait autrefois la capitale d’une brillante civilisation, dont il ne reste maintenant que des vestiges : un champs de stèles de plusieurs dizaines de mètres de haut, dont le mystère réside dans leur érection et surtout leur transport (car la pierre dans laquelle elles ont été taillées se situe à 4 kilomètres) et dont la restitution par l’Italie qui les avait volées sous Mussolini a fait l’objet de multiples rebondissements ; des tombeaux en veux-tu en voilà, à faire pâmer tous les Indiana Jones amateurs et professionnels ; l’église Sainte-Marie de Sion datant du IVème siècle, détruite à plusieurs reprises puis reconstruite au XVIIème avant d’être salement restaurée récemment ; la mythique chapelle où serait déposée l’Arche d’Alliance depuis son ravissement par Ménélik, fils du roi Salomon et de la reine de Saba, mais que seul son gardien peut voir – sans doute le mystère le plus fascinant de l’histoire de l’humanité : là encore, Indiana Jones doit en rêver. Un site toutefois vaut vraiment le détour : c’est le monastère de Pantalewon, perché sur les hauteurs d’Axoum. Pour l’atteindre depuis le « parking » des tombes des rois axoumites Kaleb et Gabra Masqal, il faut marcher une petite demi-heure sur un chemin bordé de murs en pierre et traversant un paysage sec où sont installés quelques modestes communautés paysannes. Arrivé au monastère où des « étudiants » récitent la Bible en guèze à voix haute dans une harmonieuse cacophonie, il faut encore escalader un raidillon avant d’arriver à une minuscule église qui ne paye pas de mine mais qui surplombe un paysage magnifique. L’intérieur de l’église est richement décoré de fresques et d’icônes anciennes ; au sous-sol, des tombeaux dont le prêtre nous montre l’accès par une trappe. Peu de touristes viennent jusque-là, sans doute effrayés par la (pourtant courte) marche que cela nécessite ; ils ont tort, selon moi.


Nous restons un peu moins de deux jours à Axoum, puis nous prenons la route pour Shire, ville sans autre intérêt que d’être une étape vers Gondar. Le trajet est interrompu par un incident sans grande gravité mais assez impressionnant : sur la route, un garçon s’est littéralement encastré le pied dans son vélo, entre le cadre et la roue (difficile à expliquer quand on ne connaît pas tous les termes techniques !). Le pauvre enfant souffre atrocement, d’autant plus que sa douloureuse situation est probablement la cause d’une belle chute. Toute une populace a accouru d’on ne sait trop où et se masse en hurlant devant l’accidenté. Tout le monde semble y aller de ses conseils. Finalement, l’enfant est sorti de son piège. Immédiatement il cesse de pleurer et s’évanouit ; un vieux papa le prend dans ses bras et l’emmène Dieu sait où. Le minibus repart.
Nous passons la nuit à Shire. Le lendemain très tôt, vers cinq heures, tandis qu’il fait encore nuit et que les premiers habitants de la ville sortent de chez eux à l’appel du muezzin, nous arrivons à la gare routière – une immense gare routière, où les bus sont tous bien rangés les uns à côté des autres, laissant le centre de la place vide. Ce n’est finalement qu’à 6h40 que le bus s’ébranle. Commence alors un trajet un peu pénible, car les places sont très étroites pour nos longues jambes. Il fait chaud, nous manquons d’air. La route est goudronnée sur plusieurs dizaines de kilomètres et finit par laisser la place à une piste de qualité convenable. Cependant, nous sommes en montagne, et nous ne cessons de monter des cols pour redescendre dans des vallées le plus souvent asséchées. Nous arrivons finalement aux alentours de treize heures à Debark, où nous attend Guizmou, un jeune guide qui doit nous emmener dans le parc du Simien, « roof of Africa ». Il a loué pour nous un 4×4 et nous sommes escortés d’un cuisinier, d’un cuisinier-adjoint, d’un scout armé, et de deux muletiers. Six personnes à notre service pour une randonnée, je ne suis pas habitué !
Pendant quatre jours, nous marchons donc au milieu de paysages époustouflants (au sens figuré, mais aussi au sens propre : nous sommes à plus de 3000 mètres d’altitude). Je laisse les photos s’exprimer :
Le cinquième jour de ce trek, après une gentille balade au-dessus de 4000 mètres le matin, un 4×4 nous emmène à Gondar, où nous arrivons en début d’après-midi. Quelle joie de retrouver le confort d’un hôtel propret ! Car après cinq jours de marche sous un soleil harassant et quatre nuit de camping à une température frisant les 0°C, après cinq jours à transpirer sans pouvoir se laver, cinq jours à remuer une poussière qui s’est incrustée partout, cinq jours sans pouvoir chier convenablement, nous sommes immondes : les cheveux hirsutes, le visage noirci, non seulement les pieds mais aussi le corps tout entier plein d’escarbille, les vêtements dans un état lamentable. Nous puons. Arrivé dans la chambre, je me jette sur le lavabo pour récupérer tant bien que mal mon pantalon méconnaissable (et j’y parviens à peu près), puis sur la douche. Je vois s’échapper dans la bonde toute la crasse qui se mêle à l’eau chaude… Joie !

Gondar est l’autre capitale historique du pays. Contrairement à Axoum, elle a conservé un patrimoine plus important, mieux préservé – mais aussi moins ancien. Gondar fut le centre névralgique du pays à l’époque moderne. C’est une belle ville. Le site le plus impressionnant est probablement le Fasil Ghebbi (cité royale), ensemble de palais construits entre le XVIIème et le XVIIIème siècle. Nous déambulons pendant plus d’une heure entre ces bâtiments qui ressemblent à des châteaux forts, certains à l’état de ruines, d’autres encore bien debout. Là encore, je regrette que le site ne soit pas mieux mis en valeur. Comme beaucoup d’autres en Ethiopie, il a bénéficié de nombreux subsides de l’UNESCO, mais on se demande comment ils ont été utilisés.


A Gondar, nous visitons également les « bains de Fasilidas », lieu reposant et étonnant : autour d’une sorte de chapelle a été creusé un large bassin, vide le jour de notre venue, mais que l’on remplit les jours de fêtes, pour des baptêmes ou autres cérémonies du même genre. Ce bâtiment semble flotter au milieu d’un jardin calme, aux arbres plus que centenaires.
Nous passons les deux derniers jours de notre périple à Bahar Dar, adorable cité au bord du lac Tana, à proximité de la source du Nil bleu. Bahar Dar a le charme des stations balnéaires des climats subtropicaux. Nous marchons en ville, goûtant à son ambiance méditerranéenne. Nous sirotons des Coca au bord de la piscine d’un hôtel de luxe (où nous ne couchons pas). Le temps nous manque pour profiter de son principal centre d’intérêt : la visite des monastères où se sont retirés depuis plusieurs siècles des moines orthodoxes, sur les îles du Lac Tana.

Non loin de là, une source jaillit et chute : c’est le Nil. En amont de cette chute, l’une des deux sources du majestueux fleuve (l’autre source, celle du Nil blanc, est au Rwanda) contribue à alimenter le lac Tana. Bahar Dar, en Ethiopie, est donc la ville qui a été construite à proximité du lieu d’où part l’un des plus beaux miracles de l’Histoire : l’Egypte, première grande civilisation, apparue en plein désert!