Salam! La paix!

En revenant de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle voici quelques semaines, j’ai été interpellé par cette affiche qui venait chercher mon regard à chaque station du RER B. On y voit deux fillettes marchant dans les décombres d’une ville, et la légende nous appelle : « Prêts pour affronter la rentrée ? Elles, oui ! » On imagine que ces gamines sont des petites palestiniennes ou des syriennes, étant donné que cette affiche est une publicité pour le Secours Islamique.

Je n’avais jamais entendu parler de cette organisation. Piqué par la curiosité, je suis allé sur son site Internet. J’y ai appris énormément de choses sur l’islam. Si on devait résumer, on pourrait dire que cette association a pour vocation de défendre et mettre en œuvre la doctrine sociale de l’islam, en admettant qu’il y ait une doctrine pour un islam : « Le Secours Islamique France s’inspire des valeurs de l’islam, celles de la solidarité et du respect de la dignité humaine, qu’il place au centre de ses préoccupations. Il appelle, par son engagement, ses valeurs et ses missions, à la construction d’une solidarité humaine qui transcende les différences et les frontières. »

En surfant un peu dans les rubriques du site Internet, je découvre des spécificités de la solidarité façon islamique. Par exemple, le Secours Islamique, chaque année, lance une importante campagne d’appel aux dons dans le cadre du ramadan, avec l’accroche suivante : « Pendant Ramadan, invitons le pauvre à notre table. » Je fais la connaissance également d’une forme de don qui me semble extrêmement intéressante : le Waqf. Je vous laisse lire la définition qu’en donne le Secours Islamique : « Le Waqf qui signifie étymologiquement « l’emprisonnement d’un bien légué dans le but de l’exploiter à des fins autres que son propre usage », est l’immobilisation d’un bien pour le faire fructifier et en donner le bénéfice aux pauvres. En d’autres termes, le Waqf est une sadaqa ou aumône continue dont les récompenses, l’utilité et les effets qui en découlent augmentent durant la vie du donateur et continuent après sa mort ; ses bénéfices étant distribués chaque année (fonds de roulement). » J’aime bien le concept, et il mériterait d’être appliqué plus largement.

Longtemps, je me suis méfié de l’islam, et je continue, malgré moi, de ne pas être toujours très à l’aise avec cette religion, essentiellement par ignorance. Mais ces derniers mois, ces dernières années, j’ai eu plusieurs fois l’occasion, par petites touches, de l’appréhender et de mieux le comprendre.

Ma première approche sensible de l’islam a peut-être été – j’ai presque honte de l’avouer – le visionnage d’un film assez mauvais – disons plutôt raté – sorti en 2010 : L’Italien, d’Olivier Baroux. Ce film est un navet, j’en conviens : il raconte l’histoire d’un musulman arabe qui s’est fait passer pour un Italien pour pouvoir être embauché chez Ferrari et ne plus subir le racisme. Ses employeurs, ses collègues, ses amis, sa compagne même, ignorent sa véritable identité, jusqu’au jour où son père mourant lui demande de respecter le ramadan. Notre faux Italien doit alors manœuvrer pour respecter la volonté de son père (et de Dieu !) tout en continuant sa vie « normale » et mensongère.

Etrangement, ce film qui commence comme une comédie se transforme progressivement en satire sociale et en réflexion sur l’islam, sur sa place dans la société française, sur sa spiritualité. J’en suis ressorti avec le sentiment de n’avoir pas totalement perdu mon temps : je m’étais ouvert sur cette religion. J’ai été ému dans ce film par ces petits matins encore ténébreux où l’on prend le Souhour, dernier repas avant l’aube ; par ces soirées communautaires où l’on rompt le jeûne ; par ces prières que l’on dit plusieurs fois par jour ; par cette solidarité qui s’intensifie.

Un autre film auparavant m’avait donné une vision positive et joyeuse de la communauté musulmane en France : c’était La graine et le mulet d’Abdellatif Khéchiche. Dans ce film, une jeune fille génialement interprétée par la trop rare Hafsia Herzi, se met en tête d’ouvrir un restaurant sur une péniche avec un vieux bonhomme qui vit dans l’hôtel tenu par sa mère. Ce restaurant doit avoir une spécialité originale : un couscous au poisson. On voit ainsi cette jeune fille pleine de bagout et de dynamisme remuer ciel et terre auprès des banques et des pouvoirs publics pour ouvrir son restaurant. On assiste à des repas de famille où la bouffe abonde, où l’on rit, où l’on bavarde à refaire le monde.

Plus d’une fois, j’ai eu l’occasion de constater à que point l’islam pouvait être une religion de sérénité et de profondeur. A Harar, où je me suis rendu cet été, j’ai pu observer une communauté ouverte vivant en bonne intelligence avec la forte minorité chrétienne, totalement détachée du conflit israélo-palestinien, libérée des contraintes qui pèsent dans d’autres aires islamiques. J’ai été assez surpris par exemple d’être interpellé dans la rue par Aïcha, une adolescente musulmane qui me proposait de me guider dans la ville. Cela n’avait l’air de choquer personne qu’un homme se promène avec une femme, adolescente, musulmane. Même le voile ne me semblait plus si enfermant que cela : j’ai vu en Ethiopie des femmes extrêmement soignées, élégantes, belles dans leur voile. A Harar, c’était jour de fête quand je suis arrivé, et les femmes étaient superbes. Aïcha elle-même passait son temps à jouer avec son voile, à l’enlever, le remettre, l’ajuster, d’une façon très sensuelle. Plus tard dans mon voyage, j’ai passé plusieurs heures dans un minibus avec devant moi une jeune femme dont le voile encadrait magnifiquement un beau visage fin ; elle ne l’a ôté qu’une fois, très furtivement pour le réajuster, et j’ai trouvé son geste très gracieux.

En 2008, un livre de Atiq Rahimi a connu un franc succès en obtenant le prix Goncourt. Syngué Sabour est un roman fin, douloureux et poétique qui raconte l’histoire d’une femme – probablement une Afghane – libérant sa parole auprès de son mari dans le coma. Celui-ci semble éveillé, il respire, et peut-être entend-il sa femme prier à ses côtés et raconter sa vie de fille puis de femme, dans un pays en guerre.

Récemment, j’ai justement terminé les mémoires d’un ancien moudjahid afghan, Amin Wardak. Outre que cet ouvrage est passionnant pour comprendre l’Afghanistan contemporain, son histoire, ses enjeux, il m’a permis d’appréhender l’islam avec plus de bienveillance. Tout au long du livre, Amin Wardak nous explique à quel point il a toujours été désireux de défendre sa culture, sa religion, et son approche particulière de l’islam qui diffère de celle des arabes. Certaines pages m’ont vraiment ému : « Quand venait le ramadan, le seul souci de mon père était alors de se mettre à la disposition de Dieu et de prier. Chaque année depuis sa jeunesse, il partait avec des gens très pieux, même en dehors du ramadan. Chaque année, il s’isolait quarante jours pour jeûner dans la montagne, dans une grotte, comme le prophète. […] Le soir, ils mangeaient juste une galette avec de l’eau. Ils priaient le jour et la nuit, ils dormaient très peu. C’est la nuit que l’on prie le mieux. […] Je me rappelle, quand j’avais environ six ou sept ans, comme j’étais impressionné quand je le voyais revenir : il avait maigri, mais il était lumineux, rayonnant de bonté. »

C’est cette culture et cette spiritualité qu’Amin et les résistants ont voulu défendre contre les communistes, contre les Soviétiques, puis contre les partis politiques qui manœuvraient au Pakistan, contre des opportunistes et des ambitieux.

Selon moi, les musulmans de France sont trop souvent obsédés par la question israélo-palestinienne. J’ai toujours été ahuri qu’un si petit bout de terre aux confins orientaux de l’espace méditerranéen soit responsable de tant de conflits au Proche-Orient et dans le monde. Je me rappelle un événement qui s’était déroulé dans une synagogue, il y a quelques années. Je travaillais alors dans un lycée qui proposait aux élèves, en début d’année, de rencontrer des croyants de confessions diverses dans leurs lieux de cultes respectifs. Un de mes élèves, un musulman, n’arrêtait pas d’interroger le rabbin sur l’Etat d’Israël. Le rabbin, un peu gêné, y répondait mais il finit pas interroger à son tour le garçon :
« – Jeune homme, tu n’es pas palestinien ?
– Non, je suis français !
– Parfait. Et bien moi je suis français aussi. Je ne suis pas Israélien. Je ne suis pas l’ambassadeur d’Israël. Alors ne t’occupe pas de ce conflit qui ne te regarde pas et qui ne me regarde pas non plus. Vous n’êtes pas venus pour m’écouter parler de géopolitique, mais de Dieu, et de la foi. Ce conflit n’est pas le nôtre, nous n’avons pas à importer ici cette guerre. »

Pour se saluer en arabe ou en hébreux, on formule l’interjection suivante : « Salam ! » ou « Shalom ! », ce qui littéralement signifie : « La paix ! ». A force de prononcer ce mot plusieurs fois dans la journée simplement pour se dire bonjour, on peut espérer qu’il finisse par être mis en pratique.

Bibliographie :
SOURDEL Dominique, L’Islam, PUF, collection « que sais-je ? », 1ère édition 1949
RAHIMI Atiq, Syngué Sabour, POL, 2008
WARDAK Amin, propos recueillis par Christine de Pas, Mémoires de guerres, Arthaud, 2009

Filmographie :
KHECHICHE Abdellatif, La graine et le mulet, 2007
BARROUX Olivier, L’Italien, 2010

Webographie :
Secours islamique

2 réflexions sur « Salam! La paix! »

  1. Bonjour,

    je me permets de laisser ce com simplement pour saluer l’intelligence du ton de cet article… étant musulman de confession et auteur des affiches du secours islamique pour cet campagne. Je me suis retrouvé, avec plaisir, à lire vos lignes, avec vos sentiments, vos appréhensions et vos questionnements.

    Je pense que le fléau de cette crainte de l’islam en France est simplement due à l’IGNORANCE. Pas seulement, des non musulmans face à cet religion, mais également des personnes de confessions musulmanes qui ne connaissent pas leur propre religion… Du coup les actes sont attribués à la religion et non pas à l’homme.

    je vous souhaite une très bonne continuation
    Amicalement.

    wa salam.

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