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Théorie et pratique de la géographie

L’Atlas du 21ème siècle est l’un des seuls livres de ma bibliothèque dans lequel je me replonge souvent avec ravissement et abandon. Je ne sais plus au juste à quand remonte mon amour des cartes. Je me souviens toutefois du plaisir immense que j’ai éprouvé la première année de mes études pendant les cours de géographie physique : ces cours consistaient généralement à étudier des cartes à l’échelle 1/25000ème (mes préférées) ou au 1/50000ème. En France, nous avons la chance d’avoir une culture géographique profonde et développée. L’IGN est une institution de géographie parmi les plus prestigieuses, et les cartes qu’il conçoit sont des bijoux de précision et de beauté devant lesquelles mon âme philocale ne peut que se pâmer. Il m’arrive de passer des heures à y observer les sinuosités d’un cours d’eau, les aspérités d’un relief, les détails d’une flore, les méandres d’un chemin. Ces cartes sont d’une telle qualité que les disséquer suffit à contempler  les paysages qu’elles décrivent.

Un exercice technique que j’ai appris lors de ces leçons à l’université consistait à établir une coupe orographique d’une ligne droite à partir d’une carte. En gros, il s’agissait de tracer une droite sur une carte, et de reproduire en coupe transversale – en respectant l’échelle – les reliefs qu’elle parcourait. A l’époque, je pratiquais beaucoup la randonnée en montagne, et je m’étais amusé à tracer sur du papier millimétré tout le trajet que je prévoyais de parcourir pendant une semaine : je pouvais ainsi me faire une idée très précise des dénivelés que j’allais monter et descendre, presque mètre par mètre.

J’avais alors exercé pour la première fois la pratique de la géographie. Être randonneur, ce n’était plus pour moi seulement effectuer un acte physique – sportif – ou spirituel, c’était aussi être géographe. Les paysages, les reliefs, l’organisation des territoires que je traversais prenaient un sens nouveau ; sous un talus, je pouvais deviner les couches géologiques ; une vallée ne parvenait plus à me cacher son talweg ; la revanche de l’ubac m’apparaissait avec splendeur ; j’étais en mesure d’identifier un habitat dispersé, un openfield, une cuesta ou une butte-témoin dans un bassin sédimentaire. Et surtout : sentir la terre qui défilait sous mes pieds, apprécier chaque kilomètre, découvrir les vallées les unes après les autres, m’abandonner aux vertiges de la lenteur, tout cela me faisait appréhender l’espace avec une joie nouvelle ; je posais sur le territoire le regard du géographe, je voyais les paysages avec les mêmes yeux que ceux qui avaient étudié les cartes.

Aujourd’hui, je suis professeur de géographie. Très tôt, j’ai eu l’intuition que mon goût du voyage allait m’être utile dans mon métier, car avant d’enseigner la géographie, je l’ai pratiquée, je l’ai ressentie dans mon corps. Mes pieds ont foulé la terre, mes mains se sont accrochées à la nature, mes yeux ont vu les paysages que les hommes ont façonnés, aménagés, soumis et occupés.

Bien sûr, on peut enseigner la géographie en collège et en lycée sans être un randonneur ni un voyageur. Seulement, la randonnée, le voyage, ce sont mes valeurs ajoutées, les miennes, et libre à chacun de mes collègues d’avoir les leurs (une agrégation ; une connaissance encyclopédique ; une expérience professionnelle comme urbaniste ou fonctionnaire dans l’aménagement du territoire ; une passion pour les volcans, les chemins de fer, les phytoplanctons ou la pédofaune ; une formation pointue en paléoclimatologie; une famille d’agriculteurs ; une enfance à Lagos ou à Provins ; moi, c’est le voyage).

Quand je dois travailler, en Seconde, sur la question alimentaire, sur la gestion des risques majeurs, sur le développement durable, sur l’aménagement des villes, je ne suis pas mécontent d’avoir vécu en République Centrafricaine, de m’être rendu plusieurs fois en Haïti, d’avoir arpenté Londres et New York. J’ai le sentiment que les mots que j’emploie sont plus concrets, que je suis plus efficace dans ma description des phénomènes à expliquer.

Quand, en Sixième, j’évoque la vie dans les milieux montagnards, sous les tropiques, dans le Sahel ; quand je décris les contrastes des climats continentaux, la vie paysanne en Afrique, l’habitat à Vienne ou à Oran, les paysages de la Sibérie méridionale ; quand j’explique ce qu’est un foyer de peuplement ou un désert humain ; il va de soi que je tire bénéfices d’avoir marché dans les Alpes, dans les Pyrénées ou dans le Massif de la Selle entre Port-au-Prince et Jacmel ;  d’avoir vécu en brousse et respiré des champs de manioc ; d’avoir visité Vienne et Oran ; d’avoir fait le tour du lac Baïkal ; d’avoir traversé des zones du Sahara et des métropoles mondiales.

Ce qui est vrai pour la géographie l’est aussi pour l’histoire. Je suis toujours enthousiaste de découvrir des lieux où se sont déroulés des événements que j’enseigne : la rue où fut assassiné l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo en 1914 (dont je parlais dans un précédent article) ; la chambre où naquit Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye, l’église Saint-Eustache où il fit sa première communion, l’église de Saint-Jean-de-Luz où il se maria ; les rochers que Roland de Roncevaux ébrécha de son épée Durandal, dans les Pyrénées ; la région où fut découverte Lucy et où disparut l’Arche d’Alliance (que j’évoquais ici et surtout ) ; la plage d’Hispaniola où Christophe Colomb passa des heures délicieuses avec sa maîtresse caribéenne ; et bien d’autres encore. A contrario, j’ai un peu honte de n’avoir jamais visité Rome, Jérusalem, Kyoto et Le Caire et de n’avoir jamais posé le pied en Amérique du Sud.

Ce qui est vrai pour la géographie et pour l’histoire l’est aussi pour la littérature. Et comme j’enseigne aussi les lettres, ça tombe bien : la littérature russe me plait plus encore depuis que j’ai visité Saint-Pétersbourg ; la littérature haïtienne a très largement contribué à édifier mon savoir sur « la perle des Antilles » ; Batouala de René Maran est venu enrichir et complexifier mon approche de l’Afrique centrale ; l’Allemagne n’évoquerait rien d’autres que quelques souvenirs d’adolescence sans Hermann Hesse ou Vladimir Nabokov (dans sa période berlinoise) ; l’Amérique du Sud ne m’attirerait pas tant si je n’avais lu Cent ans de Solitude de Garcia Marquez ou les romans de Vargas Llosa.

Bien sûr, n’allez pas croire pour autant que je me la ramène en permanence auprès de mes élèves avec mes voyages, ou, pire encore, que je leur montre des diapos de mes vacances. Notez bien par ailleurs qu’étant enseignant dans le secondaire, je ne suis pas géographe, ni historien, ni homme de lettres. Je serais plutôt ce qu’à l’époque moderne on appelait un « honnête homme ». Je ne prétends pas que la géographie n’est qu’un vague goût pour le voyage, même si elle commence probablement par cela.

La géographie est une science. Longtemps discipline bâtarde, relevant à la fois de l’ethnologie, de l’économie, de la démographie, de la géologie, de la climatologie… elle s’est finalement affirmée comme discipline à part entière, avec ses propres enjeux, ses propres outils, sa propre épistémologie, à la fin du XIXème siècle, grâce à quelques illustres noms : Halford John Mackinder en Angleterre, Paul Vidal de la Blache en France… Elle a aujourd’hui des applications nombreuses, et le géographe joue un rôle majeur dans la société : urbanisme, aménagement du territoire, développement durable, journalisme… La géographie – pour la définir grossièrement – est l’étude de la Terre telle qu’elle est occupée et aménagée par les hommes. Par le voyage, c’est tout autant la Terre que les hommes qui m’intéressent : découvrir des peuples, des cultures, des histoires, des individus dans des paysages qui les racontent.

Bibliographie :

Pour commencer, je dois mentionner l’outil fondamental du géographe en herbe, la Bible de tout étudiant en sciences humaines, l’atlas officiel de l’agrégation de géographie :
– CHARLIER Jacques (sous la direction de), Atlas du 21ème siècle, Nathan, réédité chaque année

Julien Blanc-Gras, star montante des écrivains voyageurs, évoque avec humour son amour pour les cartes et la géographie dans les premières pages de l’ouvrage suivant :
– BLANC-GRAS Julien, Touriste, éditions Au diable Vauvert, 2011

Bien d’autres récits de voyage construisent mes compétences géographiques et avivent mes désirs de les mettre en pratique :
– RUFIN Jean-Christophe, Immortelle randonnée – Compostelle malgré moi, éditions Guérin, 2013 : best seller du printemps ; vous n’avez pu y échapper !
– WARGNY Christophe, Haïti n’existe pas, éditions Autrement, 2004 : essai déjà un peu ancien mais pas du tout daté, écrit par un journaliste que j’ai eu l’occasion de rencontrer en novembre 2012 pour discuter des medias en Haïti.
– TESSON Sylvain, Eloge de l’énergie vagabonde, Equateurs, 2007

Je ne les ai pas encore lus mais ils sont en pile d’attente :
– DE MONFREID Henry, Les secrets de la Mer Rouge, 1931
– CHALIAND Gérard, Mémoires : Tome 1, la pointe du couteau, Robert Laffont 2011, réédition Point Aventure, 2013

Et parce que la géographie, c’est aussi la géopolitique :

– LACOSTE Yves, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, 1976 : ouvrage dont le titre est mondialement connu mais dont je n’ai lu que quelques extraits. Yves Lacoste est le pionnier de la géopolitique en France.
– MOREAU DESFARGES Philippe, Relations internationales – 2. Questions mondiales, Point Seuil, 1993, maintes fois réédité par la suite.
La Revue XXI, revue trimestrielle d’une rare qualité dans la presse contemporaine.

TVgraphie :

Nombreuses sont les émissions de géographie de qualité à la télévision. J’en relève quelques-unes :
Le Dessous des Cartes, émission de 10 minutes présentée par Jean-Christophe Victor sur Arte, propose chaque semaine d’expliquer un phénomène géopolitique, en s’appuyant sur des cartes.
J’irai dormir chez vous est une joyeuse série documentaire dans laquelle Antoine de Maximy se met en scène dans ses voyages partout dans le monde, avec pour objectif de s’incruster à déjeuner ou à dormir chez les gens qu’il rencontre.
– Plus ludique, peut-être un peu trop fabriqué, mais pas désagréable : Rendez-vous en terre inconnue, animé par Frédéric Lopez, filme des célébrités découvrant et partageant la vie de peuples lointains et généralement menacés.

Bosnia dream

Bientôt, nous célébrerons le centenaire de l’entrée fracassante de la Bosnie dans l’histoire de l’Europe contemporaine : le 28 juin 1914, l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, était assassiné par Gavrilo Princip dans une rue de Sarajevo, entre la vieille ville ottomane et la rivière Bosna, de l’autre côté de laquelle étaient situés les quartiers austro-hongrois.

Cet événement aux confins de l’Europe centrale, dont la portée aurait pu être anodine pour le monde, provoqua un des plus grands désastres de l’humanité : la Grande Guerre, que l’on appela par la suite Première Guerre Mondiale lorsqu’une seconde vint bousculer plus radicalement et plus violemment encore nos vieilles civilisations.

Les Balkans étaient alors une poudrière dans une situation internationale tendue. Sarajevo fut la mèche sur laquelle Princip approcha une dérisoire flamme qui incendia l’Europe entière, puis la plupart des continents.

Rue où fut assassinée François-Ferdinand le 28 juin 1914
Rue où fut assassiné François-Ferdinand le 28 juin 1914

L’histoire des Balkans est complexe. J’ai ressenti le besoin, en 2012, de m’y rendre pour voir cette rue où l’archiduc avait péri, pour voir cette ville d’où le drame était parti, pour comprendre ce pays qui souffrit tant au XXème siècle, et particulièrement dans les années 1990. En arrivant à l’aéroport, je discutai un moment avec un Bosniaque et lui avouai que pour moi qui vivais dans un pays où l’unité nationale était ancienne et relativement bien établie, la situation des Balkans m’apparaissait inintelligible. Il me répondit :
– Nous non plus, nous ne nous comprenons pas.

Mostar, avril 2012
Mostar, avril 2012

Ce que les monographies historiques et politiques ne parviennent pas toujours à expliquer, la littérature nous le fait parfois sentir. C’est le cas de ce roman, California Dream, de l’écrivain Ismet Prcić. En utilisant un mode narratif original et complexe, l’auteur y retrace son enfance et son adolescence en Bosnie, à Tuzla, puis son exil en Europe de l’ouest avant de rejoindre la Californie. Le récit se déroule en grande partie dans des régions de la Bosnie que je n’ai pas visitées. A un moment tout de même, tandis qu’il quitte en car la Bosnie pour se rendre à un festival de théâtre en Irlande (il est acteur), voici ce qu’écrit l’auteur : « De loin, Mostar semble avoir été piétinée par un géant pris de folie. Le spectacle des ruines qui défigurent la moitié de la ville nous réduit au silence. Ce que nous avons vécu à Tuzla n’est rien en comparaison. J’aperçois même un gratte-ciel coupé en deux : la moitié manquante se dresse près de la base, la tête à l’envers. Au cinéma, ce genre d’image semblerait invraisemblable et grotesque. »

Mostar est une ville dans laquelle je suis resté quelques jours, et c’est là que j’ai mesuré avec le plus d’acuité l’invraisemblable de cette guerre. La vieille ville ottomane avait été complètement reconstruite, et elle était magnifique. Mais très vite, les quartiers périphériques – modernes – laissaient apparaître des immeubles aux trous béants, criblés de balles, complètement désossés. Sur la photo ci-dessous, je suis situé sur ce qui était la ligne de front : à gauche, la zone croate, catholique, à droite la zone bosniaque, musulmane. Quand on voit les photos prises pendant la guerre, on découvre une ville effectivement semblable à la description d’Ismet Prcić: une ville à terre où les passants se cachent de crainte de se faire mitrailler, une ville divisée en deux camps d’où les habitants se tirent dessus, une ville encaissée dans la vallée, fragile, cible facile, où les hommes tuent leurs frères, leurs voisins depuis un versant de colline sur le versant d’en face !

Ligne de front à Mostar, avril 2012
Ligne de front à Mostar, avril 2012
Mostar, avril 2012
Mostar, avril 2012

Voici ce que j’écrivais alors dans mon journal : « Nous avons passé toute la journée d’hier à Mostar, à déambuler dans la vieille ville ottomane, à prendre notre temps, à flâner dans les rues contrastées où se côtoient les immeubles défoncés par la guerre, et ceux reconstruits. Dans Mostar Ouest (partie croate – catholique – et moderne) émergent tout d’un coup des bâtiments très surprenants: un lycée tout récent, massif, style ottoman, d’un beau jaune orange; ou bien un centre commercial immense, sur quatre étages (plus deux autres étages de bureaux ou de je ne sais quoi), qui s’élève d’un seul coup, et que nous avions déjà découvert la veille au soir, brillant de mille feux dans la nuit; ou bien un centre culturel de type néo-stalinien (immense, haut, à la façade convexe). Nous nous sommes arrêtés quelques minutes dans ce centre culturel (il semblerait qu’il y ait une scène de spectacle) car JM a vu un piano dans le bar du rez-de-chaussée. Pendant qu’il joue, j’observe un peu ce bar propret, au décor chaleureux, mais triste: deux poivrots fumaillants sont là, parlant fort. Au moment de partir, la serveuse s’échine à me parler croate et je ne veux pas la contrarier; j’acquiesce à tout ce qu’elle me dit. »

Dans California Dream, un passage m’a aidé à  saisir l’étrangeté de la guerre des Balkans. Le narrateur qui vit de galères professionnelles et de défaites amoureuses en Californie se retrouve un matin avec la gueule de bois dans un appartement inconnu, dans un quartier qu’il n’identifie pas. Il se lève, sort de l’appartement et tente de rentrer chez lui. En chemin, il est interrompu par l’arrêt devant une maison d’une voiture d’où sort une famille de Bosniaques. Il les entend parler et cela lui fait bizarre. Il les aborde alors, et se fait inviter par le chef de famille à qui il a avoué qu’il avait été soldat pendant la guerre. Dans le jardin, une famille nombreuse est réunie et exprime son admiration pour le narrateur qu’elle prend pour un patriote. On fait alors venir le grand-père. Soudain, dans le jardin, le narrateur aperçoit des drapeaux rouge et bleu. Ce sont les couleurs de la Serbie ! Le narrateur réalise que ceux qu’il a pris pour des Bosniaques l’ont pris pour un Serbe ! Et le vieux grand-père qu’on lui amène est un génocidaire planqué aux Etats-Unis qui se met à débiter un discours anti-bosniaque, traitant les musulmans de rats. Ce long passage du roman m’a frappé parce qu’il mettait en lumière ce qui m’a tout de suite étonné dans ce pays : Serbes, Bosniaques et Croates parlent la même langue, ont la même culture, les mêmes coutumes ; ils ne peuvent pas se distinguer les uns des autres, sauf s’ils doivent partager un repas où certains ne pourront pas consommer de porcs ni d’alcool. Ils ne savent pas eux-mêmes pourquoi ils se sont battus si sauvagement.

J’avais pris la décision de me rendre en Bosnie après avoir lu un roman d’Emmanuel Carrère : Limonov. Ce roman narre le parcours atypique d’un poète russe underground et ultrapolitisé. Limonov, dans les années 1990, se retrouve embarqué dans la guerre des Balkans, du côté serbe. Il se vante d’avoir tiré sur Sarajavo assiégée. Au détour de quelques lignes, Carrère sous-entendait dans ce livre que Sarajevo était redevenue une belle ville, presque branchée. Comme j’avais déjà entendu des remarques similaires peu de temps auparavant, j’avais voulu me faire moi-même une idée.

J’ai alors acheté un billet d’avion puis réservé une chambre dans un hôtel dans un quartier qui me semblait assez central. Je l’ignorais alors, mais cet hôtel était situé à quelques mètres du lieu exact où avait été assassiné l’archiduc en 1914, du lieu, donc, où la Première guerre mondiale éclatait. Finalement, mon ami Jean-Martin m’a rejoint dans mon projet, et lorsque le premier soir, peu après minuit, nous avons ressenti le besoin, avant de nous coucher, de marcher un peu dans la ville, nous avons été stupéfaits de ces rues calmes, soignées, vides, bien entretenues ; j’ai été séduit par ces ruelles médiévales, ces pavés proprets, ces murs blancs de la ville ottomane ; ma sensibilité d’historien a été émue de découvrir au détour d’un trottoir l’inscription suivante sur une plaque : « Ici fut assassiné l’archiduc d’Autriche-Hongrie François-Ferdinand, le 28 juin 1914. »

Le lendemain matin, nous avons traversé toute la ville pour nous rendre à la gare routière. Nous avons alors découvert une ville animée, resplendissante. En chemin, nous nous sommes arrêtés pour regarder quelques vieux hommes jouer aux échecs sur un plateau géant. J’ai une photo de cette partie d’échec où l’on me voit observant ces hommes en pleine démonstration d’intelligence ; cette photo illustre le premier article de ce blog, « l’intelligence de l’autre ».

Sarajevo, avril 2012
Sarajevo, avril 2012

Je décrivais ainsi la première journée de notre voyage en Bosnie :
« Réveil un peu tard, petit-déj rapidos et pas terrible, et puis c’est parti, nous partons à pied de la vieille ville de Sarajevo pour nous rendre à la gare routière. La veille au soir, nous avons déjà erré dans la vieille ville, magnifique, adorable, déserte, et c’est amusant de la découvrir maintenant dans le jour, animée. Sarajevo est très bien restaurée et entretenue, et il faut s’aventurer dans les quartiers périphériques pour réellement découvrir les immeubles abandonnés, ou criblés d’impacts de balles. Pour le reste, c’est très beau, et je me sentirais presque d’y vivre. Les gens sont accueillants, aimables. Ils parlent anglais, et ça me fait du bien de m’exprimer moi aussi dans cette langue.
La gare est assez sordide: immense bâtiment de style stalinien, et à l’intérieur le hall est mortel : personne, pas de panneau horaire, on se demande s’il n’y a pas une erreur. On peine à trouver un point d’achat de tickets, et une fois qu’on l’a trouvé, il est vide. Un type finit par arriver, il parle allemand: je lui dis « bus » et il nous indique la gare routière, qui est juste derrière. A la gare routière, nous avons la chance de trouver tout de suite un bus qui part.
Nous voici donc embarqués dans les montagnes des Balkans. Nous longeons une belle et large rivière (la Bosna, puis la Neretva). L’eau en est vert pâle (turquoise par moment), très belle, mais je constate à un moment qu’elle est jonchée de bouteilles vides et de saletés en tout genre. Les villages que nous traversons ressemblent à ceux que l’on peut voir dans les Alpes françaises, mais le minaret a remplacé le clocher. »

Le dernier jour de notre séjour, de retour à Sarajevo, nous sommes montés en fin d’après-midi sur une hauteur de la ville. Nous pouvions alors contempler la ville dans toute sa splendeur, devinant par la même occasion la configuration de la ligne de front et des combats des années 1990. Quatre préadolescents étaient assis à côté de nous, observant eux aussi leur ville calme et apaisée en cette douce soirée d’un beau jour de printemps. Ils étaient charmants, attachants, et je songeais, en les voyant ainsi dans leurs rêves de jeunesse insouciante, qu’ils n’avaient pas connu la guerre, et qu’ils se fichaient sans doute pas mal des douleurs de leurs aînés.

Quatre enfants sur les hauteurs de Sarajevo, avril 2012
Quatre enfants sur les hauteurs de Sarajevo, avril 2012

Bibliographie :

Le livre auquel cet article fait référence est le suivant :
PRCIC Ismet, California dream, Les Escales, 2013

Et j’ai également cité :
CARRÈRE Emmanuel, Limonov, P.O.L, 2011