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Dans l’atelier de l’écrivain

« Il me reste une solution : écrire. En écrivant, je pourrai peut-être enfin dire qui je suis, révéler le sucre qu’enveloppe cette chair dure et froide. […] Me voici, tailladant sans relâche la chair dure et coupante des mots qui se pressent dans mon ventre, transpirant pour exprimer ce qu’au fond de moi Haïti veut dire. Me voici, je ferme les yeux, et je suis au bord de la mer Caraïbes, je suis allongé sur la terrasse à l’ombre d’un arbre aux feuilles légères, l’air me caresse le cou. Je me sens bien. »

Ces mots, ce sont ceux de Joseph Meyer, le personnage principal de La saison du confort, un petit roman que j’ai publié au début de l’été.

Je voudrais, dans cet article, vous faire entrer dans l’atelier de l’écrivain, vous montrer ses outils, ses méthodes, son environnement de travail, et ainsi répondre aux questions qui m’ont été posées depuis la parution de ce roman.

Le choix de l’autoédition

En juillet 2017, il y a donc environ un an, j’ai envoyé le manuscrit de La saison du confort à onze éditeurs, de tailles et de notoriétés diverses. Huit m’ont répondu que mon manuscrit ne correspondait pas à la ligne éditoriale blablabla, trois ne se sont pas donnés cette peine. Honnêtement, j’ai conscience que les éditeurs reçoivent des milliers de manuscrits par an, et que dans cet univers hyper concurrentiel il est ardu de se faire une place (pour les auteurs comme pour les éditeurs). Je n’ai donc pas été déçu ; une réponse positive m’aurait beaucoup surpris. Après plusieurs mois pendant lesquels j’ai été pas mal occupé professionnellement, je m’apprêtais à solliciter d’autres éditeurs (il en existe des centaines) lorsque j’ai appris qu’Amazon organisait chaque année (depuis trois ans) un concours d’écriture pour des œuvres inédites et autoéditées : les « Plumes francophones ». J’ai voulu tenter cette expérience, qui m’intéresse d’autant plus qu’elle me permet de comprendre comment fonctionne Amazon, et par là même le monde de l’édition bouleversé par cette multinationale.

Comme la plupart de ceux qui écrivent, je préférerais mille fois que mon roman soit publié par la voie normale – noble – de l’éditeur institutionnel. Mais je suis réaliste. Et je ne me décourage pas pour autant : un jour, peut-être, je parviendrai à toucher un large public, d’une façon ou d’une autre (le nombre d’exemplaires vendus de La saison du confort n’est pas humiliant – notez qu’il est encore disponible ici).

Comment écrit-on un roman ?

« En combien de temps l’as-tu écrit ? », « Qu’est-ce qui t’a inspiré ? », « Comment as-tu appris à écrire ? »… Les questions ne manquent pas, et je ne peux pas toujours y apporter des réponses précises.

L’écriture de ce roman a été un très long processus dont je ne peux retracer toutes les étapes. Certains passages ont été rédigés il y a dix, voire quinze ans ! Avant ce roman, j’ai écrit beaucoup d’autres choses : des morceaux de romans, d’autres achevés mais pas convaincants dans leur globalité, des nouvelles, des articles (notamment ceux de ce blog), des idées vagues jetées sur des bouts de papier, des journaux de voyage, des poèmes… J’y ai abondamment puisé des passages inclus dans La saison du confort, qui peut ainsi s’apparenter à une compilation, ou une mise en ordre de textes divers (peut-être que par moment cet effet patchwork se voit, même si j’espère avoir été assez habile pour le masquer).

Je peux toutefois identifier à l’origine de ce roman quelques idées centrales. Tout d’abord, je voulais parler d’Haïti. J’avais d’ailleurs écrit un essai sur Haïti, une sorte de déclaration d’amour à ce pays, et c’est un ami qui m’a conseillé d’en faire plutôt un roman. Comme j’avais commencé à imaginer l’histoire d’un homme qui disparaissait, j’ai pensé qu’il pouvait avoir disparu… en Haïti. Ce qui me permettait de réutiliser la matière première de l’essai susmentionné.

À partir de là, plusieurs idées se sont agrégées :

– J’avais envie d’écrire un roman d’aventure.

– Depuis longtemps, je voulais raconter une scène en particulier : celle de la « pièce maîtresse ». Lorsque je suis arrivé en Centrafrique en 2009, je suis allé à l’ambassade pour m’y déclarer et obtenir une carte de résident (puis plus tard une carte de séjour). Il manquait une pièce à mon dossier, une pièce que la secrétaire d’ambassade considérait comme la « pièce maîtresse ». Le comique de la situation résidait dans le fait qu’elle n’arrêtait pas de répéter, en boucle, « c’est la pièce maîtresse », « c’est la pièce maîtresse », « c’est la pièce maîtresse ». Elle acceptait toutefois de m’inscrire dans le registre des résidents français en Centrafrique, et de me délivrer la carte qui l’attestait, en me précisant bien qu’il fallait que je transmette au plus vite à l’ambassade la « pièce maîtresse », ce que je fis quelques mois plus tard, contrairement au personnage de mon roman.

– Une autre idée, écrite dans ses grandes lignes bien avant de vivre la scène que je viens de mentionner, mais qui dans le roman en découle, mûrissait dans mon esprit : raconter un enlèvement. C’est la scène qui ouvre le livre.

– Par ailleurs, si Haïti est au cœur du roman, l’Afrique, quantitativement, est probablement autant présente. Mon expérience en Afrique a été marquante, décisive, et je voulais en toucher un mot. Il faudra sans doute un autre roman pour aller plus loin. D’une façon générale, c’est le monde intertropical que je voulais décrire, et la confrontation d’un homme des régions tempérées avec ce monde. Les rencontres intercuturelles nourrissent beaucoup mon imagination.

Enfin, certaines thématiques m’intéressent, et je voulais les explorer. Il en est ainsi de la question du Mal, abordé ici sous l’angle de la corruption. Ce thème fait l’objet d’un autre de mes projets d’écriture qui vivote doucement dans mon ordinateur.

À partir de tous ces éléments, j’ai fini par échafauder le plan de La saison du confort. En deux ou trois ans, le gros œuvre était terminé ; il m’a fallu un an pour les finitions (corriger les fautes, supprimer des passages inutiles, rédiger une transition, ajouter un chapitre, clarifier une description…).

Autobiographique ou pas ?

C’est LA question que l’on me pose systématiquement. Ceux qui me connaissent bien sont catégoriques : la réponse est oui, ce roman est autobiographique. Le personnage principal me ressemble tellement. Même physiquement c’est moi ! En réalité, le caractère autobiographique du roman s’arrête là : ma ressemblance avec le personnage principal. En encore : s’il me ressemble, il n’est pas mon exacte copie (par exemple, contrairement à lui, je n’éprouve aucune forme de culpabilité à être bien né : riche, français, blanc, etc. Je trouve même cette culpabilité assez pathétique, mais elle me semblait être un ressort intéressant à exploiter).

Tout texte parle forcément de soi : que ce soient des mémoires, un journal intime, un roman ou une thèse de mathématiques. Tous ne disent pas la même chose, mais tous en révèlent autant sur son auteur : ses centres d’intérêt, ses désirs, ses frustrations, ses connaissances.

Évidemment, les personnages de La saison du confort vont dans des lieux que je connais, exercent des métiers qui m’intéressent, éprouvent des émotions que j’ai pu éprouver. Mais ce qu’ils vivent, essentiellement, je ne l’ai pas vécu (sauf quelques événements secondaires du roman, qui sont là surtout pour donner une impression de réalisme) : je n’ai jamais été enlevé, je ne désire pas disparaître, je n’y connais à peu près rien en chimie, je ne me suis pas fiancé à une jeune fille qu’en réalité je n’aimais pas vraiment, mes parents n’ont pas de résidence secondaire à Juan-les-Pins, ni nulle part ailleurs, mes grands-parents ne possèdent pas de maisons ni de magasins dans ma commune de résidence, Dieu merci aucun élève ne m’a jamais corrompu ni tenté de le faire (!)… Je pourrais additionner ainsi tout ce qui n’est pas autobiographique dans ce roman, mais cela reviendrait à recopier celui-ci !

Beaucoup de romanciers mettent en scène des personnages qui leur ressemblent, ou qui ressemblent au moi qu’ils fantasment, même lorsque les personnages en question sont des personnages historiques. Sur ce point, je ne fais pas preuve d’originalité.

Voici ce que j’écrivais dans un de ces romans non aboutis que j’évoquais plus haut : « Ce roman n’en est pas un. Je crois que ce que j’écris là est une quête de moi-même, un long poème, un journal, un témoignage, un récit, une fiction. Je pars de mon enfance, mais ce n’est qu’un prétexte. Je pars de moi, mais la littérature, ce n’est pas parler de soi, c’est parler des autres, c’est parler aux autres. Mes sensations n’ont aucune importance, et c’est pourquoi je les exploite, je les triture, je les fouille jusqu’à les vider de leur sens, jusqu’à ce qu’elles ne m’appartiennent plus. »

En fait, le personnage principal de La saison du confort m’a été inspiré de la vie de Paul Gauguin telle qu’elle est racontée par Mario Vargas Llosa dans Le Paradis – un peu plus loin. Ceux qui ont lu ce roman comprendront sûrement : comme Paul Gauguin, mon personnage a abandonné sa famille, son métier, son milieu, ses habitudes, au profit d’une quête, celle d’un paradis lointain, pur, débarrassé de toute scorie existentielle.

Quant aux personnages secondaires, ils sont carrément tous le fruit de mon imagination. Désolé pour ceux qui ont cru s’y reconnaître ! Seul un peut être considéré comme « réel », mais seulement dans sa fonction, absolument pas dans sa psychologie.

Le choix d’un nom de plume peut se comprendre à la lumière de ces réflexions sur l’autobiographie. Prendre un nom de plume est une façon de mettre de la distance avec ce que j’écris, d’atténuer l’ambiguïté d’une frontière floue entre fiction et autobiographie. C’est aussi, accessoirement, un moyen de préserver ma vie privée et professionnelle.

« Je ne m’intéresse qu’au style »

C’est en ces termes que Louis-Ferdinand Céline parle de la littérature dans une interview qu’il accorde en 1959. C’est une idée que je partage largement. L’histoire que l’on me raconte m’importe peu ; ce qui compte, pour moi, c’est qu’elle soit bien écrite. Je voudrais donc évoquer maintenant quelques-uns de mes tics d’écriture, ce que j’estime être « mon style ».

Dans l’histoire de l’art, il est un mouvement auquel je suis sensible depuis longtemps : c’est l’impressionnisme. À ma connaissance, ce mouvement pictural n’a pas vraiment d’équivalent en littérature. J’ai le sentiment d’en être l’unique représentant, un siècle après Monet ! (Mais le débat est ouvert, je voudrais bien découvrir des auteurs qui à l’époque ont pu se revendiquer de l’impressionnisme).

Ainsi, je m’attache à décrire non pas seulement les choses ou les événements, mais surtout les émotions qui s’en dégagent, les impressions qu’elles font jaillir chez ceux qui les contemplent ou les vivent. Cela se traduit parfois par certaines formules opaques, à la clarté mal définie : « la vie tout entière semblait tendue vers un présent suave et pesant » ; « je voudrais extraire ce kwashiorkor de ce corps et de ce monde » ; « dès lors s’enclenche le mécanisme vicieux du désir : la pieuvre croît en lui mais n’est jamais nourrie » ; etc.

Aussi, je m’intéresse particulièrement à ce qui est subtil, trouble, ambigu, paradoxal. Je fuis le premier degré, les évidences, les idées toutes faites, les lieux communs, les facilités sentimentales, au risque, peut-être, de paraître provoquant ou dérangeant (bien que ce ne soit pas du tout ce que je recherche, voire que cela puisse me déranger moi-même). Je pense par exemple au personnage de Merveille dans La saison du confort. D’une maturité extrême, ce personnage est étrange, presque irréel. Et la relation que Merveille noue avec Joseph Meyer est d’une grande ambiguïté : empreinte de sensualité, cette relation est pourtant aussi marquée par l’innocence et la pureté. Pour comprendre mieux ce personnage, c’est vers le symbolisme qu’il faut se tourner, et non pas cette fois-ci vers l’impressionnisme : Merveille est un symbole, multiple et complexe – elle symbolise Haïti mais aussi les états d’âme de Joseph ; elle est également une vision de son passé, « l’Apparition » du spectre de Léopoldine. Je n’ai pas cherché à être cohérent !

Enfin, on ne peut pas bien apprécier La saison du confort si on n’en saisit pas la poésie. C’est un roman, mais c’est aussi, fondamentalement, un poème. Je le redis : je ne recherche pas toujours la cohérence, le réalisme (même si je fais quelques efforts tout de même). Je tente, par des images que j’espère originales, d’écrire un récit qui soit beau, tendre, lumineux.

Mes sources d’inspiration

J’ai déjà décrit plus haut ce qui avait pu m’inspirer pour ce roman : des anecdotes vécues ou observées, mon amour pour les régions intertropicales, mon intérêt pour certains sujets, la lecture d’un roman de Vargas Llosa, mon goût pour l’impressionnisme et la poésie… Pour terminer cet article, je voudrais vous faire entrer un peu dans la petite cuisine de l’auteur, en donnant quelques secrets de fabrication. Je m’en tiendrais aux trucs que j’ai piqués à d’autres écrivains.

Pêle-mêle :

– La formule « bien des années plus tard » qui ouvre l’un des incipits les plus célèbres, celui de Cent ans de solitude, d’un autre sud-américain, Gabriel Garcia Marquez. Je transforme cette locution en «  bien des années après » car j’utilise déjà la formule « trop tard » dans la phrase précédente. Je pique aussi à Garcia Marquez, avec beaucoup moins de talent évidemment, l’immixtion du surnaturel dans un récit réaliste.

– [ATTENTION DOUBLE SPOIL] Dans Je m’en vais, Jean Echenoz utilise un effet que j’ai trouvé génial : un même personnage ayant deux noms différents. Dans La saison du confort, certains lecteurs m’ont dit avoir tout de suite compris le procédé, d’autres ont eu la surprise de le découvrir lorsque cela est révélé (relativement tard dans le roman). J’avais anticipé les deux hypothèses, et je crois que le roman peut être également apprécié dans un cas comme dans l’autre.

– L’impressionnante faculté qu’a Fédor Dostoïevski pour sonder l’âme humaine, dans sa complexité et ses paradoxes. Mon ambition est de parvenir un jour à ce degré de virtuosité !

– Tous les romans de Dany Laferrière, pour leur drôlerie, leur sensualité et leur perfection à décrire les ambiances haïtiennes (odeurs, sons, paroles, sensations).

– Les romans de Jean-Christophe Rufin. Rufin est bien plus fin et précis que moi, autant sur le fond que sur la forme. J’apprécie chez lui sa capacité à faire vivre d’autres époques, d’autres lieux, à mettre en scène des aventures incroyables, et à décrire en quelques mots la complexité d’un raisonnement. Je lui ai « volé » une description médicale évoquée dans Un léopard sur le garrot pour filer une métaphore sur le mal qui s’insinue toujours dans nos vies insidieusement, progressivement, sans se faire remarquer.

– Le chapitre 5, qui ouvre la deuxième partie (« l’ordinaire famille d’Hyppolite zénodore ») m’a été clairement inspiré du début du Père Serge, un court roman de Léon Tolstoï (encore un Russe !). Ce roman est l’histoire d’un homme de haut rang, bien en vue, qui d’un seul coup plaque tout pour se faire ermite. Je vous mets au défi de lire les trois premières pages de ce roman sans vouloir continuer !

– Dans La saison du confort, quelques paragraphes un peu techniques sont consacrés aux Tropiques. C’est Francis Hallé, dans La condition tropicale, qui me les a fournis.

– Enfin je dois le titre de la première partie (« Le ravissement de Joseph Meyer ») à un roman de Jean Rolin, Le ravissement de Britney Spears, qui lui même doit son titre au roman de Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein. Le double sens du mot « ravissement » m’a semblé bien correspondre à ce que je racontais.

Pour conclure, je soumets à votre réflexion un autre extrait de ce roman non publié que j’ai déjà cité plus haut : « Je me fous de la vérité. Ce n’est pas elle que je recherche, ni dans l’écriture de ce récit, ni dans le sens de l’existence, ni dans la formulation des faits qui jonchent mon histoire, ni même dans la reconstruction d’une mémoire qui sélectionne ce qui pourra glorifier celui à qui elle appartient. Je n’ai rien oublié. Je me rappelle de tout. Mais ce tout et ce rien ne sont pas nécessairement le reflet de la vérité. Dostoïevski a écrit que s’il était prouvé que le Christ n’était pas la vérité, il continuerait tout de même de suivre le Christ plutôt que la vérité. Moi aussi, je choisirais ce en quoi je crois, ce qui a fondé ma vie, ce qui en a fait le sens, même s’il était évident que tout cela n’était que du mensonge. Je ne suis pas un menteur, pas plus qu’un autre, et même plutôt moins, je suis assez direct, parfois brutal, mais je dissimule volontiers, je maquille. Le maquillage n’est pas un mensonge, c’est une mise en scène. » Vous vouliez de l’ambiguïté? En voilà!

[Pour lire ou relire La saison du confort, c’est ici. Et pensez à commenter ensuite sur la page Amazon!]