Chaque saison possède ses beautés, et le nom de ce blog indique bien l’amour particulier que je porte à l’été. Je dois cependant admettre que celui-ci affadit les paysages, le soleil au zénith écrasant les ombres et les nuances. L’automne, au contraire, est la saison des contrastes : les couleurs tirant sur les rouges ou les orangés sont magnifiques, l’alternance du soleil et de la pluie offre des teintes évanescentes aux lumières atmosphériques, les brumes percées par les rayons de l’astre ajoutent des mystères aux perspectives automnales.
C’est pour cela que j’aime tant profiter de la campagne dans les jours qui entourent la Toussaint et qui nous mènent doucement jusque vers l’hiver. Cette année encore je n’ai pas dérogé à cette habitude. À la fin du mois d’octobre, je me suis d’abord rendu en Normandie, région qu’une série de circonstances m’a fait redécouvrir cette année. Dans mon enfance, j’ai vécu deux ans à Caen, et j’ai déjà évoqué comment dans le Jardin des Plantes de cette ville j’avais jadis ressenti – peut-être pour la première fois de ma vie – le désir de la rencontre avec d’autres contrées que la mienne. Il y a presque deux ans, mon frère est parti vivre à Rouen, et cela m’a donné l’occasion de visiter à plusieurs reprises la médiévale cité où périt Jeanne d’Arc.
En une année, d’un automne à l’autre, je me suis rendu trois fois dans la campagne normande. J’ai randonné à pied de chez moi au Havre en octobre 2014, et à vélo jusqu’à Londres en avril 2015. Cette année, c’est l’univers du cheval que j’ai approché, en m’installant quelques jours chez une collègue, à proximité du premier poney-club fondé en France, à Bois Guilbert dans les confins du Pays de Bray.
Le Pays de Bray, c’est la région de Madame Bovary. Pour l’occasion, j’ai décidé de me plonger enfin dans ce roman. Pour rappel, Madame Bovary est un roman écrit par Flaubert et publié en 1856. Il nous raconte les tourments d’une jolie paysanne qui, marié à un médecin timide et falot, ne parvient plus à trouver le sens de sa vie ; elle s’ennuie et ne sait comment sortir de cet ennui, les romans n’étanchent plus sa soif, les conversations avec le pharmacien ou le curé lui font éprouver une profonde lassitude. Sa seule lumière, son seul espoir, elle croit le trouver dans l’amour – le vrai, le pur. Mais les hommes qu’elle rencontre et à qui elle s’abandonne sont des êtres médiocres, à commencer par son mari. Dans le fond, Emma Bovary est une urbaine manquée, et le petit bourg de Yonville-l’Abbaye s’avère vite trop étriqué pour elle.

Cette bourgade imaginaire existe : elle s’appelle Ry. Les experts de Flaubert sont à peu près certains que c’est là que l’écrivain a puisé l’inspiration de son chef d’œuvre. Petite ville sans grand intérêt, perdue dans une campagne un peu triste, on y retrouve tous les éléments du décor de Madame Bovary : la pharmacie, la maison des Bovary, les halles et l’église juste derrière, la ferme de la nourrice, le ru à l’arrière des jardins, l’étude notariale, l’auberge du Lion d’Or et l’arrêt de L’Hirondelle. Les autorités locales ont mis en valeur un parcours de plusieurs dizaines de kilomètres autour de Ry. Bois Guilbert est l’une des étapes de ce parcours, et ce village a été le point de départ de mes balades dans les bois, à pied, en voiture ou à cheval. Une boucle en particulier m’a fait traverser des bocages persistants, sur un chemin parfois boueux, ondulant d’une colline l’autre et d’un hameau l’autre. Ici ou là, on croit reconnaître la ferme de Monsieur Rouault, le père d’Emma, ou encore le premier village où s’est installé Charles Bovary ; on croise quelques poneys de Bois Guilbert montés par des enfants enthousiastes ; des mûres tardives s’offrent à nos bouches gourmandes… Comme l’automne peut être est doux !
Après ce court séjour dans la campagne brayonne, je suis passé de l’ouest à l’est de Paris, des bords de Seine aux bords de Marne – plus exactement à quelques mètres du canal de la Saône à la Marne, entre Vitry-le-François et Saint-Dizier. C’est une toute autre ambiance qui m’attendait : la Champagne en ces lieux est morne et plane, baignant dans une succession de plaines et de plateaux cassée çà et là par des cuesta (dont certaines sont les plus rentables du monde, car elles offrent les conditions pour la production d’un vin mousseux de renommée internationale!). Nous avons donc quitté l’ennui d’Emma pour la torpeur des poilus de la Première guerre mondiale. Non loin de chez ma tante – qui m’accueille dans cette région attachante – s’étale le lac du Der, l’un des plus grands lacs artificiel d’Europe, créé dans les années 1960, noyant trois villages afin de réguler le cours de la Seine et ainsi éviter les inondations de Paris. La géographie et l’histoire sont parfois complices dans l’ironie : ce lac du Der porte un bien drôle de nom, dans une région où de 1914 à 1918 des hommes se sont sauvagement entretués, espérant vivre la Der des der.

Toujours ta belle écriture qui s’enrichit et s’affine publication après publication. Ce roman, alors, c’est pour quand?
Work in progress… ou words in progress, devrais-je dire…
Voilà, il est est publié, depuis juin 2018… 😉